Quand la Chine et la Russie jouent les colombes
Poutine et Xi Jinping prêchent la paix au Proche-Orient. C’est le moment de s’inquiéter… Par François Hollande
À Pékin, cette semaine, s’est tenu le troisième Forum International consacré à la « route de la soie ». Aucun dirigeant occidental ne s’y trouvait, hormis Viktor Orban, dont les liens avec l’Europe se réduisent aux seuls avantages qu’il tire de son appartenance à l’union économique. En revanche, bon nombre de dirigeants du « sud global » figuraient parmi les participants, en particulier les pays arabes et notamment l’Égypte.
L’invité principal du forum, patelin et apaisant, débonnaire et tranquille, était celui qui ne peut plus se déplacer dans les réunions internationales sans risquer d’être déféré devant la Cour Pénale Internationale, celui qui a envahi il y a peu son voisin et dont l’armée continue de bombarder les populations civiles, celui qui a reçu il y a peu le dirigeant de la Corée du Nord en majesté pour se procurer des armes : Vladimir Poutine, tout sourire sur la photo, la main dans celle de Xi Jinping, pour mieux affirmer au monde la solidité de l’alliance de la Chine et de la Russie et souligner leur volonté commune d’ériger un nouvel ordre international.
Pour Pékin comme pour Moscou, tout ce qui affaiblit l’Occident, tout ce qui amenuise l’influence des démocraties et réduit celle des États-Unis est bon à prendre. Et la crise provoquée au Proche-Orient par l’attaque du Hamas leur offre une occasion inespérée de revenir dans le jeu. Poutine appelle à un cessez-le-feu sans condamner pour autant le Hamas, alors même qu’en Ukraine il ordonne le feu tous les jours.
Il flétrit « les interventions égoïstes du bloc des pays occidentaux » auxquels il reproche d’ignorer les drames humanitaires, quand il n’est pas question une seconde d’envisager un tel « couloir » en Ukraine pour venir en aide à la population. Il pousse même l’arrogance et le cynisme jusqu’à proposer ses services pour négocier la libération des otages ou pour entamer de futures négociations de paix.
De son côté, la Chine ajoute l’utilité de ses intérêts à l’agrément d’enfoncer un coin entre l’Amérique et ses alliés. Elle a besoin des pays du Golfe pour ses approvisionnements en pétrole et en gaz : ses « routes de la soie » peuvent aller sans effort jusqu’à la péninsule arabique. Elle dégage les moyens appropriés pour nourrir cette ambition et appâter les pays du sud qui espèrent trouver des financements que les institutions internationales lui disputent.
Mieux, après avoir rapproché l’Iran et l’Arabie Saoudite, elle annonce qu’elle est prête à travailler avec les pays de la région pour une « solution juste et durable du conflit israélo-palestinien ». Bref, face aux États-Unis, elle est candidate au rôle de puissance mondiale et à la direction du Sud face au Nord pour régler les principaux problèmes de la planète.
En d’autres temps, la Russie s’en serait inquiétée : elle applaudit des deux mains. Elle trouve à cette occasion de nouveaux appuis pour ancrer sa présence dans une région où, en Syrie et avec l’Iran, elle a déjà renforcé sa position. Elle neutralise au passage une grande partie du monde dans la perspective d’un conflit long en Ukraine. Malgré les épreuves traversées, l’alliance nouée depuis dix ans entre Poutine et Xi Jinping ne s’est à aucun moment relâchée. Au contraire, elle s’est
durcie et élargie. La Chine joue la coopération quand la Russie multiplie les agressions. La première exploite économiquement ce que la seconde contrôle politiquement et militairement. Rien ne les séparera, sauf si la Russie perd la guerre ou si la Chine voit une menace planer sur ses échanges et sur sa croissance. Ainsi, tandis que les démocraties sont renvoyées à la défense d’Israël, les autocraties jouent les colombes. Des colombes aux allures de vautour.