Quand la Corse dessine une nouvelle France
Emmanuel Macron a enfin pris en compte l’originalité corse. En promettant l’autonomie, il dessine, peut-être sans le savoir, l’avenir d’une République moins jacobine
Soyons francs : deux propositions corses sont également vraies. La Corse, c’est la France : même lois, langue commune, souvenirs et histoire partagée de plus de deux siècles, nombre de Corses dans la vie politique de la République depuis des lustres, fraternité de la Résistance, volonté maintes fois réaffirmée par une majorité de résidents de rester dans le giron national, même dans l’autonomie. À cela s’ajoute cette étrangeté de l’Histoire : le Français le plus connu au monde est un Corse : Napoléon Bonaparte, avec lequel les Corses entretiennent des rapports aussi ambigus qu’admiratifs.
Mais la Corse, ce n’est pas tout à fait la France : conquête brutale et sanglante au 18ème siècle, brève indépendance sous Pascal Paoli pendant la Révolution, langue locale vivace, culture riche et originale, force électorale impressionnante des autonomistes et des nationalistes. Sur les anciennes cartes de géographie, les Français plaçaient la Corse dans un cartouche qui la collait au continent, alors qu’elle est proche de l’Italie et que son histoire propre remonte à l’Empire romain. Les Corses ont leurs défauts, comme tout peuple, mais ils savent s’en moquer, comme en témoigne le succès de deux albums satiriques, best-sellers sur l’île, L’enquête corse de Pétillon et Astérix en Corse d’Uderzo et Goscinny. Prémisses d’une identité adulte…
Tels sont les deux pôles entre lesquels navigue le gouvernement français dans ses rapports avec l’île, celui d’Emmanuel Macron comme les autres. Maladroit dans un premier temps, le président lors de sa visite d’hier, a fait preuve de plus d’habileté et d’ouverture. Il reconnaît au fond une réalité : toutes les îles de la Méditerranée – et souvent de l’Atlantique – bénéficient d’un statut d’autonomie. Dans la Manche, Jersey et Guernesey, rattachées à la monarchie britannique, ont leur propre monnaie, leurs propres lois et leur parlement élu. L’évolution de la Corse vers un statut d’autonomie obéit à la logique de l’histoire comme à celle de la géographie. Emmanuel Macron l’a reconnu : il est temps.
Une étape vers l’indépendance ? C’est à voir, pour le moins. D’abord parce ce sont les autonomistes qui dominent la vie politique, non les nationalistes. Ensuite parce que l’histoire de la Corse, depuis les années 1960, montre que la voie armée choisie un temps par certains Corses n’a rien donné. C’est le suffrage universel qui a obligé Paris à rechercher des solutions de compromis. L’attentat, l’assassinat, outre leur immoralité intrinsèque, n’ont fait que raidir les autorités républicaines. La victoire électorale, seule, conduit à l’évolution.
Enfin, beaucoup de Corses estiment que la séparation d’avec la France leur apporterait sans doute plus de maux que de biens. C’est un fait : la Corse dépend encore du continent, au moins sur le plan économique. Dès lors l’autonomie dans la République est la seule solution. Un seul exemple : le « statut de résident corse », réclamé par les nationalistes, revient à instaurer en Corse la « préférence nationale » chère au Rassemblement national en métropole. Précédent pour le moins dangereux…
Au lieu de choisir le repli nationaliste, la Corse a tout intérêt à participer, à sa manière, avec les autres régions du continent, à l’évolution française vers l’instauration d’une République moins jacobine, et de plus en plus girondine.