Quand les lettres et les images se marient
Journal de bord d’un festivalier ordinaire. Cannes au jour le jour par notre envoyé spécial sur la Croisette
« Bird » d’Andréa Arnold (drame social britannique ) ou « Émilia Perez » (comédie musicale et trans-genre chez les narcotrafiquants mexicains) du français Jacques Audiard ? Alors que la sélection officielle tire à sa fin, les pronostics vont bon train, même si tout le monde espère encore qu’un troisième film vienne menacer les deux favoris. Une chose est quasi-certaine, Coppola n’aura pas sa troisième palme d’or.
Dans une toute autre catégorie, la petite maison d’édition française POL a réussi elle son triplé à Cannes. Trois romans édités par ses soins se retrouvent cette année en sélection officielle. « Limonov » d’Emmanuel Carrère, adapté par le metteur en scène Russe en exil Kirill Serebrennikov ( en compétition), « Le roman de Jim » de Pierric Bailly, adapté par les frères Larrieu et enfin « Miséricorde » d’ Alain Guiraudie, adapté par lui même ( hors compétition).
Depuis quelques années, les éditeurs viennent à Cannes pour pitcher (« lancer ») leurs romans les plus aptes à être adaptés au cinéma, dans le cadre d’un rendez-vous installé « shoot the book », initié par le regretté Paul Otchakovsky-Laurence, le fondateur de POL, justement, qui a été par ailleurs président de l’avance sur recette au CNC pendant 3 ans. Pitcher un roman est en passe de devenir un métier à part entière. Certaines maisons d’édition, comme Gallimard ou le Seuil ont déjà leurs « pitchers » attitrés.Le jeu en vaut la chandelle, un film peut relancer le roman dont il est adapté. Jean-Paul Hirch, l’attaché de presse de POLconfirme « Nous allons ressortir les romans avec une jaquette reprenant l’affiche du film quand ils seront en salle ».
Combien coutent les droits d’un livre ? Les éditeurs préfèrent ne pas trop communiquer à ce sujet. « Cela dépend de la notoriété de l’auteur et du nombre d’exemplaires vendus en librairies » affirme, l’ex-redacteur en chef de Livres-Hebdo Vincy Thomas. Des estimations ? Autour de 60 000 euros pour « Le roman de Jim » de Pierric Bailly, le double pour « Limonov » d’Emmanuel Carrère ( Prix Renaudot). Et encore beaucoup plus, estime-t-il, pour « Au revoir là-haut » de Philippe Lemaitre (Goncourt en 2013). Kirill Serebrennikov a par ailleurs adapté « La disparition de Joseph Mengele » d’Olivier Guez (Grasset), sur la fuite de l’ancien médecin tortionnaire à Auschwitz.
La littérature peut faire du bien au cinéma et, à Cannes, les films primés sont souvent écrits par leurs auteurs. La dernière palme d’or attribuée à un film adapté d’un livre remonte à 2013, et c’était une bande dessinée, La Vie d’Adèle, d’Abdelatif Kechiche, d’après Le bleu est une couleur chaude de Jul’ Maroh. Sinon il faut remonter encore plus loin, à 2008, à Entre les murs de Laurent Cantet, d’après François Béaudeau, film dans lequel l’auteur joue son propre rôle-fictif.
On retrouve d’ailleurs également l’écrivain Emmanuel Carrère, jouant dans la même situation dans une courte scène du film de Kirill Serebrennikov. Contrairement à François Bégaudeau, Emmanuel Carrère n’a pas participé à l’écriture du scénario adapté de son roman, mais l’idée est la même, celle d’un auteur qui voit à la fois son œuvre littéraire, son personnage voire sa personne, transposée sur grand écran.