Quand Macron adoube Le Pen

par Laurent Joffrin |  publié le 01/06/2023

En désavouant soudain tous ceux qui estiment dangereuses les idées du RN, le président lui rend un service signalé

Photo: Philippe Matsas

Qu’on se le dise : les relations Borne-Macron sont « fluides ». C’est en tout cas ce qu’a dit la Première ministre hier en Mayenne, après le sévère recadrage présidentiel par elle essuyé en Conseil des ministres à propos du Rassemblement national.

« Fluide »… Le terme est intéressant : on se souviendra du « Fluide Glacial » du regretté Gotlib, satiriste de la BD, dont la température qualifie mieux l’état du rapport Borne-Macron que la lénifiante mise au point d’hier.

Le fluide peut désigner le liquide qu’on utilise pour huiler les rouages d’une machine, mais tout autant celui, également visqueux, qu’on répand parfois sous les pieds de son adversaire pour qu’il prenne un gadin. Difficile de dire si le président préfère une interprétation ou une autre.

On laissera aux augures politiques le soin de prévoir la durée du CDD d’Élisabeth Borne, qui semble singulièrement raccourcie depuis cette polémique quelque peu humiliante. Matignon, emploi précaire…

Plus importante est la question de fond. La Première ministre a été contredite sur un point clé : pour Emmanuel Macron, il n’est plus temps de renvoyer le RN à ses origines pour le moins douteuses, quand quelques vichystes notoires le portaient sur les fonts baptismaux. Vieille histoire, considération morale dépassée, indignation creuse et inaudible depuis l’éviction du père par la fille.

Tout n’est pas faux dans cette charge qui désavoue Élisabeth Borne de manière cinglante. Le RN ne fait plus profession d’antisémitisme et se réfère officiellement au Général de Gaulle, même si c’est un argument fallacieux quand on analyse ses idées. Il adopte un comportement maîtrisé au Parlement, tel le loup déguisé en grand-mère.

Pourtant c’est la droite elle-même, en tout cas sa composante gaulliste, qui s’insurge, par la voix d’Olivier Marleix ou de Xavier Bertrand. Avec un argument, pour le coup, tout à fait pertinent. Emmanuel Macron, remarquent les deux chefs de file, a été élu deux fois grâce à un « front républicain » spontané, formé non pour plébisciter son programme ou sa personne, mais pour écarter le danger Le Pen. Il moque donc le raisonnement qui l’a mis à l’Élysée : l’hôpital macronien se moque de la charité républicaine.
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Et surtout, quel service signalé rendu au RN ! Ainsi, le président de la République lui-même le décrit, implicitement mais clairement, en parti comme les autres, dont il faut seulement contester le programme ou la compétence, et non les projets dangereux pour la tradition républicaine.

C’est officialiser, couronner, même, l’effort de banalisation mené depuis des années par Marine Le Pen, alors que son programme, en fait, n’a guère changé. Marine Le Pen, candidate comme les autres ? C’est Macron qui le dit ! LeJournal.info a déjà mis en lumière, dans le sondage Viavoice publié la semaine dernière, les gains réalisés par le RN en matière de crédibilité. Le président ratifie donc le jugement de l’opinion. Coup de pouce précieux pour le parti de l’intolérance nationaliste.

On répétera que l’argument historico-moral ne suffit pas, qu’il faut aussi souligner l’irréalisme de certaines propositions et, surtout, remédier aux maux qui expliquent la montée lepéniste. Fort juste. Mais en quoi l’un empêche-t-il l’autre ?

On peut marcher et mâcher du chewing-gum. On peut avoir des idées dangereuses et manquer de compétence pour gérer le pays. C’est le cas du Rassemblement national. Le président l’a oublié.

PS: Je vous invite cordialement à consulter le contenu complet de notre quotidien numérique lejournal.info et particulièrement, aujourd’hui, le portrait de Yael Braun Pivet, présidente de l’Assemblée Nationale.

Laurent Joffrin