Quand Marine Le Pen tire les ficelles
En menaçant de faire tomber Barnier, la cheffe du RN impose son tempo, au risque d’ouvrir la crise la plus grave de la Vème République. Laquelle pourrait conduire à une présidentielle anticipée.
Elle tient le gouvernement entre ses mains. Quelques jours après avoir entendu un procureur réclamer son inéligibilité avec exécution provisoire, Marine Le Pen prend sa revanche. Au nom du pouvoir d’achat, elle a fixé ses ultimatums : outre la suppression de la taxe sur l’électricité, déjà acquise, le gouvernement Barnier doit renoncer à la hausse du ticket modérateur et au gel des pensions de retraite au 1er janvier, faute de quoi le Rassemblement National votera la motion de censure que le Nouveau Front Populaire a déposée.
A eux deux, ils feront tomber le gouvernement, une première depuis 1962. Tout peut se jouer cette semaine ou dans les jours qui viennent en réponse aux 49-3 que Michel Barnier a brandi, dès lundi lors du projet de loi sur la Sécurité Sociale, puis dans une dizaine de jours lors du vote sur le budget. Le scénario est celui du pire : judiciairement défaite lors de son procès, Marine Le Pen s’impose au centre du jeu politique. Si le Premier ministre refusait de céder, elle menace la France de se retrouver sans budget, plongée dans sa plus grande crise politique – sans doute financière – de la Vème République.
Que fera Emmanuel Macron ? Renommer Michel Barnier : difficile, tant le Premier ministre a échoué à rassembler son camp et à convaincre ses opposants de ne pas le sanctionner. L’hypothèse de Bernard Cazeneuve peut ressurgir, soutenue par la gauche raisonnable et par une bonne partie de la droite séduite par celui qui a appelé à ne pas voter la censure. Le Président de la République peut aussi écouter les sirènes de François Bayrou, l’un des seuls fidèles encore à ses côtés, qui promet un gouvernement d’union nationale où siègeraient côte à côte Bernard Cazeneuve et Xavier Bertrand.
Nul ne sait ce qui trotte dans la tête d’Emmanuel Macron, occupé à inaugurer Notre-Dame et à préparer son voyage à Riyad, où il tentera de consolider le cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah. Mais certains pensent pour lui. Ceux-là parient sur une élection présidentielle anticipée, tant paraît introuvable le gouvernement qui pourrait amadouer une Assemblée Nationale ingérable.
La conjonction des extrêmes acculera-t-elle Emmanuel Macron à la démission ? La volte-face de Marine Le Pen, passée d’une observation bienveillante du gouvernement Barnier à une menace de censure, suggère qu’elle a aujourd’hui intérêt à accélérer le tempo de la présidentielle.
Quant à Jean-Luc Mélenchon, cela fait longtemps qu’il brûle les étapes dans sa tête. Il a réitéré son ambition jeudi dernier, en appelant à « une candidature commune de la gauche » à la prochaine élection présidentielle, la sienne évidemment. Samedi, dans la foulée, l’ex-candidate à Matignon Lucie Castets et la cheffe des Verts Marine Tondelier lui ont emboîté le pas pour former le drôle d’attelage qui soutient cette « candidature commune de la gauche ».
Le lendemain, Olivier Faure a dû tancer Jean-Luc Mélenchon en lui conseillant de ne pas « pérorer et considérer qu’à lui seul, il devrait s’imposer à tous les autres ». Pour le bloquer en urgence, le Premier secrétaire du Parti Socialiste a même évoqué sa propre candidature, en se décrivant comme le porte-parole d’une génération nouvelle, capable d’obtenir le soutien de toute la gauche et d’élargir la majorité vers le centre, que ce soit comme Premier ministre ou comme Président de la République. Angoisse, incertitude, menaces et paris improbables : au seuil d’une semaine décisive, les Français assistent médusés à cette partie de poker dont le pays se serait bien passé.