Quand Trump réécrit l’Histoire
Autodafé numérique, révision du passé de l’Amérique : tel Staline faisant effacer les photos de ses opposants éliminés, Donald Trump impose aux archivistes sa vision partiale de l’Histoire.

Obsédé par sa rage contre la diversité, Donald Trump est en train de commettre l’irréparable pour transformer la mémoire de son pays. A la suite d’un décret de la Maison-Blanche, le Pentagone a reçu en fin février une note comminatoire : expurger photos et documents liés aux programmes d’équité et d’inclusion qui jalonnent l’histoire des forces américaines. Le secrétaire à la défense Pete Hegseth a justifié la circulaire en soulignant que ces programmes nuisaient à la réalisation des missions de l’armée.
Classement, tri, destruction : pour supprimer toute mention ou allusion favorisant l’inclusion, le département de la défense passe au crible vidéos, articles de presse et photos. Si l’on ajoute ce qui circule sur le web, on estime à quelques 100.000 le nombre des documents qui pourraient disparaître. Ce chiffre n’est qu’une première estimation.
La purge en est route, les algorithmes traquent les mots « femme » ou « noir ». Ainsi des clichés de femmes pilotes de chasse pendant la Seconde Guerre mondiale ont failli disparaître à jamais. Pour les autres l’effacement est bien enclenché : les figures de combattants noirs, navajos, ou d’autres communautés amérindiennes qui se sont illustrés dans les batailles contre l’Allemagne nazie disparaissent des archives militaires.
Le mot « gay » fait partie du criblage, sauf qu’il s’agit aussi d’un nom propre porté par de nombreuses familles de militaires. Ainsi le cliché du bombardier qui a lâché la première bombe atomique sur Hiroshima en 1945 a été signalé par la machine et aurait pu être détruit. Le pilote avait baptisé son zinc « Enola Gay », en souvenir du nom que portait sa grand-mère…
Cet autodafé numérique n’est qu’un aspect de la bataille idéologique de Donald Trump contre le triptyque « diversité, équité, inclusion » avec son sigle honni, D.E.I. Un autre décret exécutif est tombé jeudi dernier visant à reprendre le contrôle sur le contenu des musées Smithsonian de Washington fondés en 1846.
Le nouveau « scud » de la Maison-Blanche est intitulé sans détour « rétablir la vérité et la raison dans l’histoire américaine ». Ce texte vise essentiellement le musée national d’histoire et de culture afro-américaine, accusé « de perpétuer des idées clivantes, centrées sur la race ». Il avait été inauguré en 2016 par Barack Obama.
Le Washington Post a qualifié cette offensive présidentielle « d’actes sans précédent de l’exécutif contre ces institutions de la capitale des États-Unis ». D’autres purges s’annoncent pour ce musée dédié à l’histoire de l’esclavage et de la ségrégation. En fait, on peut dire qu’il est désormais sous le contrôle du vice-président J.D. Vance car ce dernier est membre du Conseil d’administration de l’établissement. Il pourra tout à sa guise supprimer les contenus et les financements qui ne lui plaisent pas.
Pour compléter ce remaniement général, le dernier décret de Trump permet le retour des statues représentant des personnalités confédérées en lieu et place où elles avaient été déboulonnées. A la suite du meurtre de Georges Floyd en 2020, de nombreux monuments à la gloire des combattants sudistes de la guerre de Sécession avaient en effet été évincés de l’espace public.
Ce n’est pas une simple « restauration politique » à laquelle on assiste. Trump ne s’en cache pas, il veut casser l’espace culturel et historique de l’Amérique contemporaine. Dans l’université, l’armée, les musées, y compris pour le recrutement des fonctionnaires fédéraux, partout où il peut agir, il reprend les thèses du cercle de réflexion ultra-conservateur « Heritage Foundation ». Sa croisade est une réécriture de l’histoire, elle mène à l’effacement des communautés constitutives des États-Unis et conduit à une régression du pays vers le début du XXème siècle. En bon démagogue suprémaciste, il veut mettre les blancs au centre du village.