Quel ordre mondial après l’élection du 5 novembre ?
Faisons un rêve : le 6 novembre au matin, le résultat des élections présidentielles n’a souffert d’aucune contestation…
Harris est élue avec un bel avantage et peut s’apprêter à prolonger l’exercice de Joe Biden auquel elle n’aura pas contribué à la hauteur de sa réputation de vestale de la res publica et de l’État de droit acquise, comme procureur ou comme sénatrice, entre 2004 et 2021.
Ou aussi bien c’est Trump qui l’emporte nettement. L’ordre public est maintenu, aucun énergumène chapeauté de bison n’a cure d’envahir les bâtiments officiels à l’ombre d’une bannière étoilée outragée.
Rêvons avec Claudel que le pire ne soit pas « sûr » et songeons aux conséquences possibles de l’élection de l’une ou de l’autre pour l’ordre mondial.
On imagine aisément celles d’une victoire d’Harris. La fan de soul est vice-présidente, elle est conséquente, rigoureuse, c’est-à-dire prévisible, quand même elle a choisi, notamment sur les dossiers internationaux, de demeurer dans l’ombre de son cacochyme patron, qui ne lui a concédé que les miettes d’un dossier à haut risque : celui de la migration sudiste en pleine explosion, à un moment de grands déséquilibres en Amérique centrale, latine et dans la zone caribéenne.
À ses frontières, elle cherchera à trouver les voies et moyens de coopération bilatéraux (Mexique, Salvador, Cuba, Haïti, Colombie…) et multilatéraux (OEA) avec les pays du sous-continent pour que ne s’exaspère pas, sur ses terres, le sentiment – réifié par les MAGA – que le Satan démocrate ourdit grand remplacement et dumping social généralisé…
Elle s’attachera à rassurer les membres de l’OTAN, pris dans les phares des déclarations récentes du candidat Trump, sur la pérennité de l’engagement de son pays à leurs côtés.
Elle renouvellera le soutien américain ambigu à l’Ukraine, lui assurera le maintien du calendrier d’accueil au sein de l’OTAN, tout en la contraignant à des négociations, la sauvegarde de la cohésion de la Fédération de Russie à l’esprit, dont l’implosion paraît depuis toujours aux USA un risque bien supérieur à celui d’une inféodation de Kiev à Moscou.
Elle fera sienne la hantise d’un enflammement du Caucase, lié à la renaissance de l’impérialisme ottoman, de la réalisation du projet nucléaire de l’Iran, et ménagera, en la désignant d’un doigt comminatoire, une Chine dont elle sait à la fois les vues irrédentistes historiques et la volonté d’expansion économique générale, c’est-à-dire la possible docilité.
Elle fera usage de tous ses atouts stratégiques et économiques pour faire échouer les tentatives d’autonomisation antiaméricaines des BRICS+ en entrant en émulation avec la Russie, l’Iran ou le Brésil via ses proxys émirati et égyptien, en poursuivant sa fructueuse opération de séduction, entamée en 2023, de l’Inde de Modi.
Elle pèsera de tout son poids pour que le remplacement d’Antonio Guterres, en décembre 2026, se fasse à son avantage et qu’un secrétaire général moins sensible aux chants des sirènes illibérales, propalestiniennes et hostiles aux USA, s’installe à sa place à New York.
Elle posera sur la table, au Moyen-Orient, attentive à l’humeur des campus américains, la quadruple carte du soutien opiniâtre à Israël, de la sauvegarde des intérêts palestiniens, de l’endiguement sur zone des influences iranienne et turque, de l’évitement d’un embrasement populaire unissant rues sunnite et chiite, en maintenant un double dialogue avec Tel-Aviv et les puissances locales qui y ont son oreille, Qatar, EAU, Arabie saoudite du très fraternel MBS, Jordanie, et Égypte de l’otage financier et militaire al-Sissi.
Elle visera, notamment via le FMI, à recouvrer une politique africaine et, dans ce cadre, à reprendre aux Russes et aux Chinois certaines des positions abandonnées par une France désormais ostracisée.
Elle s’attachera à réaffirmer urbi et orbi son ambition en matière de politique climatique, à dissiper le trouble créé par quelques couleuvres avalées sous le mandat Biden, pourtant infiniment plus « écolo » que Trump, telle l’autorisation de la fracturation hydraulique que, contrairement à ses positions premières, elle a fini par assumer pour complaire à son administration et, plus récemment, au « swing state » de Pennsylvanie dont l’économie repose sur ce procédé d’extraction gazière.
Enfin, quand même l’empire du dollar serait-il de nature à ôter toute crainte de faillite des USA, elle devra rassurer marchés et fonds souverains sur la capacité du pays à maîtriser une explosion de son déficit (7% du PIB au stade actuel) qui pourrait à terme entraîner une croissance mondiale des taux d’intérêt.
Mais quid de Donald Trump ? Dieu seul le sait…
Le « dictateur du premier jour » aura sans doute maille à partir avec un Poutine dont il semble bien être l’otage, sinon l’agent. L’Ukraine pourrait en pâtir, l’OTAN aussi. La Chine paiera sans doute l’incapacité frustrante du républicain à jouer pleinement son rôle de gendarme démocratique face à la Russie : elle « prendra pour Moscou », en premier lieu, sans doute, sur le plan commercial.
À ses frontières, le blond Rodomont brutalisera sans doute, mais il devra entrer en dialogue avec les gouvernements que préoccupe leur émigration de masse et ne pourra se contenter de pans de murs et de sommations. Il pourra compter, en Amérique latine, sur l’appui des forces issues du rejet du bolivarisme (notamment regroupées depuis 2017 au sein du « Groupe de Lima ») et sur un trumpisme latino incarné par le président Argentin Milei ou les épigones de l’inepte Brésilien Bolsonaro, qui sera sans doute candidat à sa réélection contre Lula en 2026.
Au Moyen-Orient, tout est à craindre d’un homme dont la politique consiste pour l’essentiel en l’humiliation des pays et des peuples arabes et en un soutien aveugle aux menées d’Israël.
L’Afrique, que Trump ignore souverainement – y voyant une zone d’influence européenne négligeable – aura tout à craindre d’un homme dont la politique climatique est le cadet des soucis et qui quitta les accords de Paris dès son entrée en fonction (juin 2017).
L’Union Européenne aura sans doute à subir les nasardes et les taxes à l’importation du président républicain et verra ses apprentis-despotes, frères d’armes d’Orban ou de Fico, et ses partis nationalistes, sinistre AfD en tête, s’inspirer de l’exemple égoïste, xénophobe, antidémocratique et brutal du fils spirituel du ténébreux Roy Cohn.
Les USA, en somme, renonçant à une part importante de leur mission « wilsonienne » de gendarmerie démocratique du monde, s’associant peut-être même activement à sa dérive autoritaire et nationaliste, placés sur un reculoir géopolitique aux peu prévisibles effets, livreront le panorama international à un désordre inédit.
Serions-nous un électeur américain, balancerions-nous ?