Qui a laissé lyncher Samara ?
Le cas de Samara, 13 ans, victime d’une agression en meute, montre que l’école ne pourra pas endiguer à elle seule la montée d’une culture de la violence qui se répand chez les adolescents. Par Boris Enet
Violent passage à tabac d’une collégienne de 14 ans par « une vingtaine » d’adolescents, aux alentours de 16 h à sa sortie du collège Arthur-Rimbaud, au nord-ouest de Montpellier. Trois mineurs, dont au moins une était scolarisée dans le même établissement, ont été placés en garde à vue pour tentative de meurtre sur mineur. La mère de la victime a confirmé qu’elle était sortie du coma.
La violente agression survenue à Montpellier contre une jeune collégienne aux abords de son établissement n’est pas un acte barbare isolé. Elle témoigne d’une violence endémique, verbale et physique, cultivée par l’entre-soi et la bêtise assumée des logiques claniques. Et même si l’école a pris en compte – récemment – ces phénomènes de harcèlement, elle est dépassée.
Une agression en meute d’une brutalité inouïe a jeté Samara (13 ans) au sol, sous les coups, et l’a envoyée le soir-même à l’hôpital Lapeyronie de Montpellier. Rien ne serait pire que de ranger une fois encore cette agression barbare dans la rubrique des faits divers, comme un simple incident né d’une violence scolaire banalisée.
Le ministère de l’Éducation nationale en a pris conscience, tardivement. Mais l’insuffisance des moyens humains, scientifiques et financiers dont elle dispose caractérise sa situation et celle de ses agents depuis longtemps. Soyons justes : la réponse institutionnelle n’est pas simple. Les cellules « Phare » des établissements scolaires, censées sensibiliser au harcèlement et agir contre lui, insistent sur les médiations, sur la réponse pédagogique et sur la nécessité du « vivre ensemble », en recueillant la parole des agressés, mais aussi des agresseurs, une fois les sanctions prononcées.
La police et la justice se focalisent – c’est leur rôle – sur la matérialité des agressions et la réponse pénale lorsqu’un dépôt de plainte existe, tandis que les chefs d’établissements tentent de faire remonter ces faits jusqu’au ministère à travers la plate-forme « faits établissements », quand ils se situent dans leur périmètre.
Ces trois actions sont indispensables et utiles ; elles ne résolvent par la question. En fait, chacun remplit son rôle, dans son couloir, en ayant le sentiment de vider la mer à la petite cuillère. D’où l’insatisfaction des familles, des personnels et des premiers concernés : les enfants.
Nous sommes face à une culture de la violence qui infeste la vie courante de certains quartiers et sur les réseaux sociaux. Certes, l’omerta en vigueur dans cette autre « grande muette » que fut longtemps l’école tend enfin à s’estomper. Mais les acteurs de terrain, professionnels de l’éducation, dénoncent tous la faiblesse de la réponse institutionnelle. J’ai pu constater que les membres des unités spécialisées de l’hôpital où les victimes sont accueillies, jugent très insuffisants les discours de « médiation » et de « vivre ensemble » en vigueur à l’école.
Ces propos lénifiants tendent à diluer les responsabilités, à mettre sur le même plan agresseurs et agressés, alors qu’il faut au contraire faire comprendre à ces enfants harcelés, abîmés, traumatisés parfois, qu’ils ne sont en rien coupables et que les vrais coupables sont ceux qui les harcèlent.
Comme souvent lorsqu’il s’agit de phénomènes de cette ampleur, la réponse est aussi politique. Les agents de prévention et de sécurité (APS) à la porte des établissements des quartiers réputés sensibles – et ils sont de plus en plus nombreux- ne peuvent suffire à la tâche. Ils sont les yeux, les oreilles de l’Éducation nationale sur ce qu’il se passe aux abords des établissements ou dans l’espace numérique. Ils peuvent intervenir rapidement en cas de nécessité ultime. Ils sont épaulés par les Équipes Mobiles Académiques de Sécurité (EMAS), qui sont des « pompiers volants », passant d’un feu à l’autre, guidés par l’actualité et parant aux urgences.
Mais les coups portés à Samara nous rappellent aussi l’urgence d’une réponse articulée et solidaire de toute la société. Sans cette prise de conscience, le risque est double : transformer en bunkers les établissements publics laïques d’éducation ; accélérer la ségrégation sociale, scolaire et culturelle qui touche des pans entiers de la société.
La gauche, comme elle le fait à Montpellier, doit aussi pointer aussi du doigt les responsabilités familiales que rien ne saurait sous-estimer. Elle doit rappeler que l’école ne peut pas tout, que les professeurs ne sont pas les seuls piliers de la société et que le rôle des parents est essentiel. De même, elle doit dénoncer l’irresponsabilité crasse des dirigeants des plates-formes numériques, qui laissent la haine en ligne se répandre comme un poison parce qu’elle favorise le trafic, et donc les profits.
En d’autres termes, la responsabilité collective, générale, abstraite des « structures sociales », ne saurait exempter les individus de leur comportement particulier. On le doit à Samara et à tous les autres.
Boris ENET