Qui décourage les maires ?
Les médias et l’opinion se penchent avec sollicitude sur le triste sort des élus municipaux. Ce faisant, ils oublient leur propre responsabilité.
« Communes attaquées, République menacée » : les maires de France n’ont pas fait dans la langue de bois pour intituler leur congrès annuel. De plus en plus souvent victimes d’insultes et d’agressions, ils sont en délicatesse avec le pouvoir central qui leur compte chichement ses deniers. Du coup, dans une touchante unanimité, la presse et l’opinion compatissent avec le sort de ces édiles chargés de travail, mal payés, contraints à des tâches ingrates.
Larmes de crocodile. Cette touchante sollicitude ne peut faire oublier l’écrasante responsabilité que portent ces deux puissances – les médias et l’opinion – dans la dégradation dont souffrent ces élus dans l’esprit public, laquelle s’accompagne rituellement d’attaques injustes et méprisantes.
Les médias ? Depuis vingt ans au moins, ils n’ont de cesse de s’essuyer les pieds sur une classe politique qui n’en peut mais. Combinards, corrompus, occupés de leur seule carrière, arrivistes et cyniques, ou bien « coupés du peuple » et impuissants : tel est le portrait que brosse le plus souvent le commentateur moyen des représentants du peuple. Les articles rendant compte des problèmes de fond, des solutions possibles, des politiques réussies, sont rares ; les dénigrements et les sarcasmes sont légion. Qu’est-ce qu’un bon interviewer ? Celui qui aura traité le ou la responsable politique avec le plus de virulence et de mépris.
Dénoncer les abus, les complaisances et les erreurs dans la conduite des affaires publiques ? C’est le rôle de la presse. Mais quels sont les journaux, les télévisions, qui font la distinction entre les hommes politiques fautifs et les autres ? À quelques exceptions près, qui retrace la difficulté de l’élaboration des lois, les dilemmes de la décision, le désintéressement de milliers d’élus soucieux du sort de leurs administrés ? Qui rend justice à ces responsables politiques aux prises avec les crises les plus variées, en première ligne dans la gestion des catastrophes, tâchant de répondre avec zèle aux demandes agressives et contradictoires des électeurs ? Quand on n’a pas grand-chose à dire dans une chronique, on dit du mal des hommes politiques : on s’assure le soutien automatique des mécontents et des ricaneurs. Cela fait du monde.
L’opinion ? Moutonnière, elle suit les journalistes dans leur désinvolte dénigrement de toute action publique. À juste titre, elle stigmatise les manquements. Mais toute amélioration, tout progrès, toute réussite d’un édile lui passe au-dessus la tête. Incohérente, elle ignore surtout que c’est elle qui élit ces pelés, des galeux et que s’ils lui déplaisent, elle a tout loisir de les congédier à l’élection suivante. Qui élit les élus, sinon les électeurs ? Et quand ils désignent de mauvais représentants, ils s’exonèrent néanmoins, par construction, de leur mauvais choix.
Rien d’étonnant, dès lors, à ce que les plus vindicatifs des mécontents passent de la critique à l’injure et de l’injure à l’agression physique. La presse et l’opinion sont deux composantes décisives de la démocratie. En passant leur temps à dénigrer ceux qui en ont la charge, ils finissent par la mettre en danger.