Qui pourra contenir le RN ? 

publié le 09/06/2024

Jordan BardeIla à 32 %, il n’y a plus désormais qu’une seule force capable de faire barrage à la montée du RN : la gauche.

Le président du parti d'extrême droite français Rassemblement national (RN), Jordan Bardella, à Paris le 31 janvier 2024 - JOEL SAGET / AFP

Un coup de tonnerre annoncé est-il moins effrayant ? Pas du tout : la victoire du RN était une prévision, menaçante, inquiétante, mais virtuelle. Acquise ce 9 juin, elle est désormais un fait massif, qui domine tous les autres et qui jette son ombre angoissante sur l’avenir du pays et de l’Europe. Avec 32 ou 33 % des voix, selon les estimations, le RN surpasse de loin tous ses concurrents et assoit confortablement sa place de premier parti de France. Si l’on y ajoute les voix de ses supplétifs de Reconquête et une poussière de votes anti-européens dispersés sur des listes marginales, l’extrême-droite se retrouve à 40 % des voix dans un scrutin national. Elle devient, ipso facto, la favorite de la présidentielle.

Autrement dit, il reste trois ans pour enrayer un mécanisme angoissant dont le déploiement assombrira la vie politique jusqu’à la présidentielle. Dès lors, une question principale se pose : quelle est la force capable d’offrir au pays un projet alternatif à celui de la régression nationaliste, qui réunisse autour de lui une majorité d’électeurs. En un mot : qui peut battre Marine Le Pen ?

Paradoxalement, même si les autres listes sont reléguées loin derrière, leurs résultats apportent un début de réponse. Qui peut contenir l’extrême-droite ? En tout état de cause, ce n’est plus Emmanuel Macron, ni la coalition qui le soutient. Avec 15 % des voix, la macronie perd sept points rapport au scrutin de 2019. À 20H00, elle était talonnée par la liste de Raphaël Glucksmann, à 13-14 %, qui permet au Parti socialiste de renaître de ses cendres électorales. Les excellences du régime auront beau tourner leurs phrases dans tous les sens, arguer qu’une élection européenne ne fait pas le printemps – ou l’hiver – qu’il reste trois ans pour se rétablir, la conclusion restera la même : c’est un effondrement. Comme on l’a écrit, la majorité sortante devait être un rempart contre le RN. Elle s’est changée en tremplin.

Avec 7 %, la droite républicaine, gangrénée par les idées du RN, n’est pas une digue plus solide contre la marée de l’intolérance. À peine un muret, qui sera vite submergé. François-Xavier Bellamy a fait une bonne campagne. Mais l’astre noir du RN a exercé une trop forte attraction : il a absorbé une grande partie de l’ancien électorat conservateur, notamment dans les catégories plus âgées ou plus favorisées de la population, auparavant acquises à la droite classique.

Reste donc la gauche. Une musique va à coup sûr s’installer dans ses rangs : les 8 à 9 % de la liste de Manon Aubry montrent que la France insoumise reste une force incontournable. Mais c’est comparer un résultat à des sondages, par nature faillibles, péché mignon de tous les commentateurs les soirs de scrutin. C’est en regardant d’autres scores électoraux qu’il faut juger des performances comparées de LFI et de la liste Glucksmann. Il y a cinq ans, les Insoumis devançaient légèrement les socialistes. Il y a deux ans, au moment de la présidentielle, ils étaient à près de 20 %, contre 1,8 % pour Anne Hidalgo. Les socialistes sont aujourd’hui devant, avec 5 à 6 points d’avance. Les vociférations de Jean-Luc Mélenchon n’y changeront rien : le paysage de la gauche vient de changer et la gauche réformiste retrouve, dans ce scrutin en tout cas, son ascendant électoral sur la gauche radicale.

C’est de cette réalité nouvelle que peut venir la réponse à notre question initiale. Il n’y a plus désormais qu’une seule force capable de faire barrage à la montée du RN : une gauche réformiste rénovée et crédible, réunie dans une organisation transformée, dégagée de la sujétion aux Insoumis, autonome et indépendante d’esprit, décidée à incarner un avenir différent pour le pays. À condition qu’elle se hisse à la hauteur du défi, qui n’a rien d’une sinécure. Pour être franc, ce n’est pas gagné….