« Rachilde, homme de lettres »
L’œuvre de Rachilde la « transgenre », morte dans l’oubli en 1953, vient de faire son entrée dans le domaine public
La littérature européenne a volontiers joué, depuis le Moyen-Âge du grand Panormita de Sienne, sur l’ambiguïté sexuelle. Son théâtre a beaucoup travesti, a souvent misé sur l’ambiguïté de genre. Fragoletta de Latouche, Seraphita de Balzac ont certes inauguré la présence dans la fiction d’hermaphrodites avérés, mais nul auteur mieux que Marguerite Eymery dite « Rachilde », n’a donné plus de lustre à ce « troisième sexe » dont notre temps revendique la reconnaissance.
Née en 1860 en Dordogne, celle qui deviendra Rachilde est la fille d’un militaire violent qui la délaisse parce qu’il voulait un garçon et d’une demi-folle passionnée de spiritisme qui la convainc de participer à ses séances. C’est au cours de l’une d’elles que Marguerite entre en relation avec un nobliau suédois du XVème siècle, Rachilde, qui promet de lui dicter des œuvres littéraires et dont elle emprunte le nom.
La jeune Amazone, qui a appris de son père équitation et maniement des armes, est encouragée dès l’orée dans son entreprise d’écriture par Hugo et se lance à corps perdu dans un galop littéraire qui la conduira à publier près de soixante-dix ouvrages et des centaines d’articles, salués par le ban et l’arrière-ban d’un panthéon littéraire frondeur « fin de siècle », (Barrès, Louÿs, Gide, Jarry, Verlaine, Apollinaire, Huysmans, Mallarmé, Wilde…) qui la chérit et qu’elle accueille au sein de son salon situé au cœur du Mercure de France.
« Rachilde, homme de lettres », comme se présente la jeune femme qui, à l’âge de 24 ans, juste avant d’obtenir de la préfecture de police de Paris une « permission de travestissement » (en application de l’ordonnance de 1800 abrogée en 2013), publie son chef-d’œuvre, Monsieur Vénus. Il met à l’honneur, de façon crue et magnifiquement provocante, l’indistinction de genre, en peignant les amours d’une jeune noble et d’un ouvrier dont elle fait une femme.
Rachilde la sadienne fera de tous les désirs, de toutes les orientations de la libido son miel – jusqu’à la nécrophilie, qui lui donne le sujet de son La Tour d’amour, de 1899 – au long d’une carrière d’auteur qui n’aura jamais cessé d’être scandaleuse, y compris lorsqu’elle se verra méprisée par la jeune génération des avant-gardes des années 1920. Dadaïstes et surréalistes ne voient plus en Rachilde que la réactionnaire hostile à la féminité « cisgenre », l’antisémite et la patriote barrésienne, oublieux de la folle modernité de « l’homme de lettres » qui meurt dans l’oubli en 1953.
L’on republie beaucoup Rachilde, ces temps derniers, et Cécile Chabaud en a donné une belle biographie romancée (1) faisons tourner la table littéraire, écoutons tonner sa « voix étrange » !
(1) Rachilde, homme de lettres, Écritures, 2022