Peut-il gagner ?

par Valérie Lecasble |  publié le 04/10/2024

Fort de son succès aux élections européennes, Raphaël Glucksmann est l’un des trois présidentiables de la gauche sociale-démocrate en 2027, avec François Hollande et Bernard Cazeneuve. À condition de beaucoup travailler, accepter de souffrir, et… de savoir composer.

Le député européen Raphaël Glucksmann. (Photo de Bertrand GUAY / POOL / AFP)

Il a surgi de nulle part avec son poing levé et son cœur sur la main ; tout neuf et tout beau, il a donné à la gauche une modernité nouvelle. Reconduit par les socialistes comme candidat aux élections européennes, il a embarqué les foules surtout des jeunes dans ses meetings ; séduit les électeurs même au centre-droit pendant ses débats télévisés ; créé chez de nombreux français le désir de soutenir ses combats jusqu’à décrocher le score inattendu de 14% qui a redonné une dynamique perdue à la social-démocratie, deux années seulement après son pitoyable 1,75% à la présidentielle de 2022.

Sa belle campagne électorale a d’une certaine façon redonné son honneur à la gauche et lui a octroyé une légitimité inattendue de présidentiable en 2027, ce qui donne un intérêt particulier à sa rentrée politique ce week-end : le journal Libération y a consacré quatre pages.
Jusqu’où peut aller Raphaël Glucksmann ? Est-il, aux côtés de François Hollande et de Bernard Cazeneuve, l’un des ceux qui peut gagner en 2027 à gauche, et si oui, avec quels atouts et quelles failles ?

Personne ne l’avait vu venir, tant sa personnalité est atypique. Il n’a jamais été encarté au Parti socialiste préférant créer de son côté son micro-parti Place Publique où hormis sa fidèle numéro deux Aurore Lalucq, remarquée pour vouloir « taxer les riches », aucune personnalité n’a émergé. Quelques amis fidèles, un peu de famille, et depuis peu … un ex-ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, qui a claqué la porte de la macronie.

Raphaël Glucksmann est l’homme des grandes causes. Il s’enflamme pour défendre la minorité des Ouïghours esclavagisée par les Chinois jusqu’à attaquer les plus grandes entreprises qui acceptent de vendre les vêtements qu’ils ont fabriqués à bas prix dans leurs usines locales. Il désigne Vladimir Poutine comme l’ennemi public numéro un à abattre pour l’empêcher de gagner la guerre en Ukraine et de réprimer la révolte contre l’emprise russe en Georgie.

Il combat le Rassemblement National au point d’accepter après plusieurs jours de réflexion de s’engager pour le Nouveau Front Populaire qui abrite pourtant La France Insoumise qu’il exècre pour son idéologie communautariste, son sectarisme et son dirigeant, Jean-Luc Mélenchon, davantage encore que Manon Aubry, son adversaire LFI aux élections européennes, qui l’a tant agacé, jusqu’à lui rétorquer un « lâchez-moi les baskets » devenu célèbre !

Sa capacité à s’emballer, dit-on, il la tiendrait de son père André, qui l’a inspiré dans son parcours. De lui vient aussi son rejet d’Emmanuel Macron, un séducteur sans grande profondeur pense-t-il, en se souvenant de la déception que lui avait procurée la personnalité de Nicolas Sarkozy pour lequel André s’était aventureusement engagé.

Raphaël Glucksmann est un Ovni en politique qui a su capter l’attention des Français jusqu’à devenir la personnalité de gauche la plus populaire. Peut-il pour autant accéder au plus haut niveau de l’Etat ? Ses handicaps sont nombreux : il est inexpérimenté et ne montre guère d’intérêt pour la tambouille politique. Il est resté les bras ballants le funeste soir du 9 juin où l’annonce par Emmanuel Macron de la dissolution lui a volé sa victoire. « Nous pensions avoir trois ans pour nous préparer, et là nous avons trois semaines », déplore-t-on alors dans son camp. Et lorsqu’on interroge son entourage pour savoir s’il va s’arroger le poste de Premier ministre, la réponse tombe : « il n’est pas prêt ». Il a beaucoup travaillé pour bâtir un programme social-écologique radical pour la campagne des élections européennes, il ne se sent alors pas légitime pour accéder à de hautes responsabilités nationales.

S’il veut un jour y parvenir, il lui faudra forcer sa nature, tant serait violente pour lui une candidature à l’élection présidentielle. Au-delà de sa lucidité tranquille, il lui faudrait mobiliser des troupes, s’approprier des dossiers compliqués, acquérir de l’expérience, prendre des risques sans flancher pour conquérir le pouvoir.

Combien de Français se sont-ils sentis trahis lorsqu’il a rejoint le Nouveau Front Populaire ? Le plus mauvais souvenir de sa vie, avoue-t-il. Pour accéder à la plus haute marche en politique, on doit être capable de compromis – parfois de compromission – ménager des zones grises, faire preuve de cynisme et d’une volonté de gagner à tout prix. Avec son cœur tendre et ses convictions entières, le voilà prévenu : il lui reste un si long chemin….

Valérie Lecasble

Editorialiste politique