Rationner Internet ?

par Laurent Joffrin |  publié le 09/04/2024

Une ancienne ministre de l’Éducation propose de réguler sévèrement l’usage des réseaux. Deux événements récents montrent qu’elle a mis le doigt sur un vrai problème.

Laurent Joffrin

Et si elle avait raison, Najat Vallaud-Belkacem ? Dans une tribune du Figaro, elle a le toupet – ou le courage – de proposer que les pouvoirs publics rationnent l’usage des écrans. Un quota de quelques gigas par personne. Rationnement ? Horresco referens ! Pas étonnant, dira-t-on, qu’une socialiste propose d’imposer la pénurie.

Pourtant qui peut encore nier les effets désastreux de l’usage addictif, immodéré, inconsidéré, des réseaux sociaux, sans compter leur dangereux bilan carbone ? Deux jours après cette tribune iconoclaste, le Centre national du livre publie sa traditionnelle étude IPSOS sur la pratique de la lecture chez les jeunes. Constat sans appel : c’est un effondrement. Les jeunes Français, tous milieux sociaux confondus, et sans qu’une différence de classe apparaisse clairement entre les usagers, passent plus de 5 heures par jour à regarder un écran et 1 heure 25 à lire… par semaine. On s’étonne ensuite que le niveau scolaire diminue et que la vente de livres soit menacée, sans parler de l’étrange et nouvelle sociabilité de la jeunesse, qui consiste à s’enfermer la moitié du temps dans la contemplation d’un smartphone. Quand on ne lit plus, on n’apprend plus. On est à la merci des émotions immédiates et des fake news répandues par les ennemis de la liberté.

Point commun

Au même moment, plusieurs agressions violentes ont eu lieu aux abords d’établissement scolaires des quartiers défavorisés. Elles ont au moins un point commun : à chaque fois, les messages de haine, les invectives claniques ou religieuses, les insultes racistes, les appels au lynchage collectif, sont passés par le complaisant truchement des réseaux sociaux, sans que quiconque ne songe à mettre en cause la responsabilité des multinationales qui ont véhiculé ces appels au meurtre et qui en font argent gras. Celles-ci se retranchent derrière leur statut de simple intermédiaire, alors même qu’elles interviennent sans cesse sur les contenus qu’elles diffusent, ne serait-ce que pour améliorer leurs rendements publicitaires.

On le sait, la technologie est comme la langue d’Ésope, la meilleure et la pire des choses. Mais au nom de la première, on s’abstient de limiter la seconde. Le rationnement est un moyen, la mise en cause des patrons multimilliardaires des réseaux en est une autre. Ceux-ci ont acquis une puissance financière et de lobbying qui en fait les égaux dangereux des États souverains. Mus par le seul appât du gain, n’ayant pas de mandat populaire, tels de nouveaux féodaux défiant les États, ils n’ont aucune légitimité à influer ainsi sur le devenir de nos sociétés. En ébranlant les fondements de la culture civique, en facilitant la tâche des fauteurs de haine, ils minent la vie des démocraties. Il serait temps que les gouvernements élus s’en rendent compte.

Laurent Joffrin