Rébétissa, ode à la poésie rebelle
Récit éblouissant comme le soleil sur la mer Égée, cet album très abouti tisse le lien entre la musique et la politique pour raconter la face méconnue de la Grèce des années 1930.

Une musique populaire censurée par une dictature d’extrême-droite, qui l’accuse d’être subversive et dangereusement orientale. Voilà l’univers sombre et fascinant des joueurs de rébétiko dans la Grèce des années 1930 qu’explore cette BD d’exception. À travers des personnages qui vivotent dans les quartiers pauvres des ports grecs, l’album évoque la voix des prolétaires, gauchos, anarchistes et fumeurs de haschich composant leurs mélodies tristes et leurs danses langoureuses à coups de bouzouki.
Des musiciens souvent amateurs que la police persécute, autant pour leur style de vie que pour ce que représentent ces réfugiés des alentours de Smyrne pleurant leur patrie perdue. Car s’ils chantent l’exil et les galères de la débrouille quotidienne, les « rébétis » rappellent aussi l’humiliante défaite grecque contre l’armée turque qui amena la « grande catastrophe » – nettoyage ethnique mettant fin à plus de trois mille ans de présence hellénique en Asie Mineure.
Dans ce décors interlope, David Prudhome signe un album qui confine au chef d’œuvre, d’une beauté plastique parfois à couper le souffle et traversé d’une grande poésie. À coup d’aplats et de fresques éblouissantes, il peint les « rébétis » comme des voyous au grand cœur, des « hommes d’honneur » voguant entre la scène musicale et la clandestinité.
Le récit s’attache en particulier aux femmes, les « rébétissa » qui donnent leur nom à l’ouvrage, deux sœurs au destin chahuté, naviguant elles-aussi entre la répression policière et l’éclatant talent de leur musique. C’est l’âpre réalité des misères de la Grèce – bien loin des posts sur Instagram dans les Cyclades – qui rejaillit au fil des pages sous un soleil non moins éclatant. Avec, en toile de fond à la mélancolie, cette question lancinante : comment continuer de vivre sa passion quand on vous l’interdit ?
Rébétissa (l’Antidote), récit et dessin de David Prudhomme, 112 pages, 22 €, éditions Futuropolis.
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