Réforme de l’audiovisuel : une vraie mauvaise idée

par Bernard Attali |  publié le 19/04/2024

Nos dirigeants adorent appeler « réforme » ce qui n’est que poudre aux yeux!

Rachida Dati, ministre de la Culture, s’est mise en tête de regrouper sous une holding unique France Télévision, Radio France, l’INA et France Media Monde ! Déjà privé de ressources propres depuis la suppression de la redevance l’audiovisuel public reviendrait ainsi à l’antique ORTF.

L’expérience enseigne pourtant qu’on ne fait guère d’économies en plaquant un uniforme unique sur des entités aussi distinctes. Particulièrement dans un domaine où la créativité ne supporte pas la bureaucratie des grandes structures. L’alignement du statut et des salaires qui accompagnent généralement ce type de réforme dépasse en coût, et de loin, les soi-disant synergies imaginées sur le papier. Ce qui n’interdit pas d’encourager la coordination entre les chaines existantes.

Mais surtout les fusionner de manière organique c’est fournir au pouvoir politique de demain une occasion en or, celle de mettre en péril le peu d’indépendance qui reste aux journalistes professionnels. On imagine ce qui en resterait si une majorité illibérale venait un jour à diriger le pays. Est-ce ce que l’on souhaite au moment où la presse privée est déjà à la merci de quelques grandes fortunes politiquement engagées ? Comparaison n’est pas raison, mais cela me remémore ce qui se passe actuellement sur le plateau de Saclay.

Ce porte-drapeau de nos plus prestigieux établissements d’enseignement supérieur est en plein blocage. Des querelles syndicales empêchent depuis des mois la nomination d’un Président. Ce n’est pas une surprise pour ceux qui ont un peu réfléchi à la gouvernance de cet ensemble.

Lorsque le Premier ministre m’a demandé, il y a quelques années, un rapport sur l’avenir de l’École Polytechnique le monde universitaire avait lancé une grande offensive pour créer à Saclay une usine à gaz regroupant Grandes Écoles, universités et Centres de recherche. Big is beautiful ! En noyant quelques centaines d’étudiants de l’École Polytechnique dans la masse des 70 000 étudiants de l’Université, le pire était certain : la gouvernance excessivement syndicalisée du monde universitaire allait immanquablement étouffer la spécificité de l’X. C’est probablement ce qui était recherché par les éternels adversaires des grandes écoles et de la méritocratie.

Il a fallu une bataille mémorable pour empêcher cela de justesse, en distinguant deux pôles : un pôle technologique d’ingénieurs autour de l’X (Institut polytechnique de Paris) et un pôle universitaire séparé, chacun doté de ses propres règles. La suite a montré le bien-fondé de cette approche. L’Institut polytechnique se développe depuis, lentement certes, mais dans la bonne voie et l’École Polytechnique n’a pas perdu son âme tandis que l’Université Paris Saclay s’embourbe dans ses querelles syndicales.

La réorganisation de l’audiovisuel public qui nous est annoncée relève du même travers. On ne tardera pas à réaliser qu’il s’agit là d’une fausse bonne idée. Peut-être même d’une vraie mauvaise !

Bernard Attali

Editorialiste