Réforme des retraites : faut-il vraiment abroger ?

par Valérie Lecasble |  publié le 25/10/2024

Sous le prétexte qu’il s’agit du plus gros marqueur anti-social d’Emmanuel Macron, les oppositions de gauche comme de droite, veulent abroger la réforme des retraites. Est-ce une si bonne idée ?

Les dirigeants des principaux syndicats manifestent contre la réforme des retraites, le 6 juin 2023. La nouvelle loi relève l'âge légal de la retraite de 62 à 64 ans. (Photo Samuel Boivin / NurPhoto AFP)

C’est peu dire que la réforme qui a porté de 62 à 64 ans l’âge légal de la retraite, ignorant la mobilisation, les manifestations et les revendications syndicales, est devenue le symbole de l’outrecuidance anti-sociale d’Emmanuel Macron. Et comme elle n’a jamais été votée à l’Assemblée nationale mais seulement adoptée grâce à un énième recours au 49-3, elle n’a pas grand-chose de démocratique.

Son abrogation est devenue le symbole de l’opposition à Emmanuel Macron et, dans la foulée, au Premier ministre qu’il a nommé, Michel Barnier. Tout parti politique qui se réclame du social exige sa suppression pour cause d’injustice. Lors de sa constitution en juin dernier, le Nouveau Front Populaire a donc naturellement mis l’abrogation en tête de son programme, ce qui a en partie empêché la nomination de Bernard Cazeneuve à Matignon : le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, estimait qu’un Premier ministre de gauche aurait du mal à y résister.

Comme sur la plupart des sujets économiques désormais, le Rassemblement National refuse de laisser à son adversaire de gauche le monopole du social. Voilà donc le RN et LFI tous deux amenés à utiliser leurs niches parlementaires, le 31 Octobre et le 28 novembre, pour réclamer l’abrogation de la réforme des retraites. Le piège est tendu par le RN à la gauche. Les 66 députés socialistes qui refusent de voter son texte car ils ne veulent pas « s’associer à une initiative du Rassemblement National », s’exposent à voir leurs visages placardés sur des affiches collées dans leurs circonscriptions par le RN, avec marqué dessus : « abrogation de la réforme des retraites de Macron : votre député ne l’a pas votée, les députés RN l’ont votée !». Seul à gauche, l’inénarrable député LFI Aymeric Caron a décidé de voter le texte du RN car, dit-il, « si on ne le vote pas, ils en profiteront pour se faire passer pour le parti de défense des travailleurs ».

On comprend la logique politique de l’abrogation. Mais la logique économique ? La France, on le sait, a opté depuis la Libération en faveur d’un système de retraite par répartition où la population active finance les retraites de ceux qui arrêtent de travailler. Du coup, les chiffres de la démographie sont implacables : le vieillissement de la population française conduit tout droit à un déficit insupportable. Comment y parer ? Augmenter les cotisations ? Baisser les pensions ? Le corps social s’y refusera à coup sûr. Le recul de l’âge de la retraire, cohérent avec l’augmentation de l’espérance de vie, risque fort de s’imposer, quel que soit le gouvernement. Quitte à distinguer entre les métiers pénibles et les autres.

Cela a en effet le double avantage de conserver davantage d’actifs en emploi plus longtemps et de payer leurs pensions aux retraités plus tardivement. Pour avoir ignoré cette règle évidente, l’État, qui a vu diminuer le nombre de ses fonctionnaires en activité, se retrouve à payer 380 milliards d’euros de pensions, soit 24 % de ses dépenses ou 40,5% de ses prestations sociales, pour combler le déséquilibre engendré par une pyramide des âges où les agents de l’Etat actifs ne suffisent plus à financer ceux qui cessent de travailler.

Plutôt que de vouloir abroger à tout prix une réforme qui rapproche tout juste l’âge de départ à la retraite des Français de celui de tous ses voisins européens, les hommes politiques de toute obédience feraient mieux d’améliorer la vie au travail, ce qui inciterait les Français à rester plus longtemps en activité, en bénéficiant de salaires plus élevés et de meilleures conditions de travail. François Ruffin, héraut des classes populaires, ne cesse de le prôner. Encore faudrait-il qu’il soit écouté.

Valérie Lecasble

Editorialiste politique