Règlement de comptes à OK Goncourt

par LeJournal |  publié le 11/11/2023

Divisions, coups bas, rancœurs, course à la succession, fracture idéologique et humaine… Le plus grand prix littéraire de France vogue en pleine tempête

Les membres du jury de l'Académie Goncourt déjeunent au restaurant Drouant, à Paris, le 11 décembre 1984, après avoir décerné le Prix Goncourt à Marguerite Duras pour son livre "L'amant" - Photo AFP

Pour la deuxième année consécutive, le prix Goncourt 2023 a été attribué (à Jean-Baptiste Andrea pour «Veiller sur elle »)… au 14e tour. Grâce à  la voix du président, Didier Decoin, qui compte double pour cet ultime vote.Que se passe-t-il dans cette vénérable institution ?

Il faut remonter à quelques années pour le comprendre, même si les aléas des livres présentés peuvent légitimement expliquer que le jury soit partagé.

Il y a deux ans, Camille Laurens, éminente membre de l’Académie, avait défrayé la chronique en critiquant vivement, dans sa chronique hebdomadaire, l’ouvrage d’un auteur qui avait pour seul tort d’être concurrent du livre écrit par… son compagnon et précisément candidat au Goncourt. Scandale !

Les statuts du prix littéraire prévoient explicitement qu’il est interdit à un membre du jury de prendre position publiquement sur les livres en compétition, a fortiori quand un proche est concerné…
Elle n’avait pourtant pas été sanctionnée, mais cette affaire et les vives discussions qui en avaient suivi ont laissé des traces. Puis, il y eut le voyage sulfureux à Beyrouth, où le jury devait tenir ses délibérations et choisir les livres retenus pour la deuxième sélection.

Le ministre de la Culture libanais, proche du Hezbollah, trouva intelligent de rendre publique une déclaration plus que limite sur la « judéité » de certains membres du jury qui conduisit évidemment certains jurés de la délégation à annuler leur voyage. Mais pas tous.

Celui-ci eut donc lieu, sous la présidence de Didier Decoin, et de quelques autres membres qui se retrouvèrent ensuite  pour défendre Vivre vite, le livre de Brigitte Giraud contre Le mage du Kremlin de  Giuliano de Empoli, magnifique ouvrage pourtant très remarqué. Tahar Ben Jelloun et quelques autres s’exprimèrent publiquement pour marquer leur préférence pour Le mage du Kremlin qui porte sur l’entourage de Poutine et connaissait déjà un succès dû notamment à l’actualité de la guerre en Ukraine. Ce que l’auteur n’avait pas prévu à l’écriture. Le flair, ou le talent. Le vote en faveur du livre de Brigitte Giraud fut malgré tout acquis… au 14e tour avec, encore une fois, la voix prépondérante du président. Tout ceci ne témoignant pas d’une touchante unanimité.

Le jury semble donc profondément divisé depuis au moins deux ans, alors qu’il aura la tâche toujours délicate de se prononcer dans l’année qui vient sur le choix d’un nouveau président, puisque Didier Decoin a annoncé que selon toute vraisemblance il ne souhaitait pas poursuivre. À ce jour il semble qu’il y ait d’un côté Philippe Claudel – Les âmes grises, l’Archipel du chien –  et de l’autre, Pierre Assouline -journaliste, chroniqueur de radio, romancier et biographe- tous deux sur des positions contradictoires au cours des dernières années.
Bien sûr, d’autres débats littéraires, donc plus légitimes, peuvent animer  les discussions du jury, notamment sur la définition du roman, et des œuvres acceptées pour la compétition. Il n’en reste pas moins que, depuis le départ de Bernard Pivot, la fracture idéologique et humaine traduit une crise qui se prolonge au fil des mois. Horaces contre Curiaces, les prochains débats de l’académie promettent d’être feutrés, mais violents.

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