Remarques contradictoires sur Gaza
Il existe une opposition gazaouie dans le territoire contrôlé par le Hamas. Son existence complique l’analyse de la situation…
Israël d’un côté, le Hamas de l’autre. Peut-être cette grille de lecture simple et universellement utilisée mérite-t-elle quelques nuances. Un lecteur nous communique un article du Times of Israël, quotidien indépendant israélien, relatant une manifestation de plusieurs milliers de Gazaouis dirigée contre le Hamas, déclenchée le 30 juin dernier à l’initiative d’un compte Instagram anonyme intitulé al-Virus al-Sakher (le virus moqueur).
Les protestataires dénonçaient la gestion calamiteuse de Gaza par l’organisation terroriste, les conditions de vie désastreuses imposées à la population par l’administration islamiste et les pratiques tyranniques dont elle use en permanence. Aussitôt réprimée sans ménagements, la manifestation est restée sans lendemain. Mais pour le quotidien, elle dénote l’existence d’une opposition au pouvoir en place à Gaza, peu visible, clandestine et diffuse pour une grande part, mais réelle.
Et de citer un opposant au Hamas replié au Caire : « Il n’y a pas une seule famille à Gaza qui n’ait pas souffert du Hamas d’une manière ou d’une autre, en raison d’arrestations ou de persécutions. Les gens sont las de n’avoir aucune opportunité et aucun moyen de s’en sortir. Le seul moyen de gagner décemment sa vie est d’être affilié au Hamas ». Diagnostic confirmé, ici et là, par plusieurs journalistes ou universitaires spécialistes de la région.
Ce qui appelle deux remarques, sans doute désagréables aux deux parties en présence. Il apparaît d’abord qu’Israël, contrairement à ce qu’on lit partout, n’est pas seul responsable de la situation épouvantable dans laquelle se trouve la population de Gaza. Rien d’étonnant si l’on y pense : les sommes d’argent consacrées par l’organisation islamiste à l’armement, au percement d’un énorme réseau de tunnels défensifs et offensifs, à l’entraînement des groupes armés, à la confection ou à l’importation de milliers de roquettes et de missiles ensuite projetés contre la population israélienne, sont par définition soustraites à l’administration civile du territoire, à la maintenance des services publics, au soutien à l’économie, à la construction d’écoles et d’hôpitaux. La population de Gaza est soumise à un cruel blocus : oui. Mais l’action du Hamas aggrave nettement ses conditions de vie.
La deuxième remarque va, en quelque sorte, dans l’autre sens. Il apparaît en lisant ces reportages qu’une bonne partie des Gazaouis sont en désaccord avec la politique du Hamas. Désapprouvent-ils l’attaque barbare menée le 7 octobre dernier ? En l’absence de toute expression libre à Gaza, on ne peut le dire. Mais il est probable, en tout cas, que le jugement porté sur l’opération, qui plonge la population gazaouie dans une nouvelle tragédie, soit contrasté. N’oublions pas non plus que si le Hamas a remporté une élection à Gaza, il s’est longtemps heurté aux partisans de l’Autorité palestinienne, engagée dans le processus de paix, avant de l’expulser par la force. Minoritaires ou non, ces partisans sont toujours à Gaza.
Autrement dit, en punissant indistinctement les Gazaouis, il est vraisemblable qu’Israël punit aussi des gens qui ne souhaitaient pas recourir aux extrémités atteintes le 7 octobre et qui seraient prêts à négocier. Ainsi, au-delà de l’ignorance des « lois de la guerre » qui proscrivent le bombardement des civils, l’armée israélienne frappe indistinctement ses ennemis et ceux qui ne souhaitaient pas l’être. En laissant de côté toute considération humanitaire (même si elles comptent), posons une question simple : est-ce un bon calcul politique ?