Rendez-vous avec le diable
Après une série de films impressionnants sur le génocide Khmer, ce Pol Pot de Rithy Panh ressemble à un rendez-vous manqué
Depuis trente ans et en une vingtaine de films, dont plusieurs documentaires remarquables, Rithy Panh traque sans concession le passé sanglant du Cambodge, sous la férule impitoyable des Khmers rouges. Entre 1975 et 1979, deux millions de Cambodgiens ont été assassinés dont ses parents et une partie de sa famille. Petit-fils de cultivateur, fils d’un inspecteur d’éducation, Rithy a onze ans quand les Khmers rouges prennent le pouvoir.
Il survit miraculeusement et en 1979 parvient a rejoindre un camp de réfugiés en Thaïlande. Il arrive en France en 1980 et, après avoir appris la menuiserie, décide de témoigner de ce qu’il a vécu par la caméra. Il est reçu à l’IDHEC dont il sort diplômé en 1988. Son premier documentaire, Site 2 – aux abords des frontières, qui se passe dans un camp de Thaïlande,est un succès.
Mais le coup de tonnerre qui va l’installer dans les traces de Shoah de Claude Lanzmann survient véritablement en 2002 avec S21, la machine de mort Khmère rouge. La prison S21qui était installée dans un ancien lycée de Phnom Penh a vu passer entre ses murs 20 000 prisonniers qui furent torturés avant d’être assassinés. Sept seulement ont survécu, ce qui indique bien la violence perpétrée entre ces murs.
Rithy Panh est revenu dans cet enfer avec deux survivants, un peintre et un mécanicien de travaux publics. Aux geôliers, il a demandé de refaire les gestes qui étaient les leurs trente ans plus tôt. Saisissant. Comme le sera en 2011, Duch, le maître des forges de l’enfer, entretiens glaçants avec celui qui fut le responsable du Camp S21 alors qu’il est en attente du verdict de son procès.
Avec Rendez-vous avec Pol Pot, Rithy Panh revient à la fiction en adaptant le livre de la journaliste américaine Élisabeth Becker. Les larmes du Cambodge : l’histoire d’un autogénocide. Nous sommes en 1978. Le Kampuchéa, démocratique, en plein déclin intérieur et menacé par le Viêt-Nam à l’extérieur, invite trois Français à venir découvrir la « situation réelle » du pays vilipendé, selon l’Angkar, par l’impérialisme américain et ses affidés : un reporter photo, une journalisme et un professeur intellectuel d’extrême gauche sympathisant qui a connu Pol Pot à la Sorbonne. Mais les choses ne vont pas se passer comme espéré et les visiteurs se font balader dans une ambiance lourde de suspicions et de non-dits.
Très vite, ils s’aperçoivent que derrière les « villages Potemkine » qu’on leur montre, la vérité est toute autre. Quant au « Grand Frère Numéro 1 » alias Pol Pot, il n’a pas l’air de vouloir se montrer. Face aux mensonges, la tentation est forte de prendre des chemins de traverse pour voir l’envers du décor. Ce n’était pas franchement une bonne idée.
Rithy Panh tente ici une synthèse entre plusieurs manières éprouvées au cours de sa carrière : les documents d’archives, la fiction, mais aussi ce petit théâtre de figurines animées sculptées et peintes qui rejouent en miniature l’expérience vécue par les trois protagonistes. On les avait déjà vues dans L’Image manquante ( 2013). Mais ici, le passage d’un registre à l’autre dont on ne capte pas forcément la nécessité ni l’enjeu semble forcé. Au total, un film hybride qui déroute plus qu’il ne convainc.
Rendez-vous avec Pol Pot de Rithy Panh. En salles. 1 h 58