Rennes: une tueuse en papier

par Jean-Paul Mari |  publié le 14/12/2023

Une collégienne de douze ans tient des propos menaçants, exhibe un couteau, sans passer à l’acte et se fait désarmer avant d’être confiée à un psy. Et voilà que la justice, presse et l’opinion s’alarment comme si on avait échappé à un nouveau massacre scolaire.

Le procureur de la République de Rennes, Philippe Astruc, montre un dessin du couteau utilisé par une collégienne de 12 ans qui a menacé une enseignante avec dans une école, lors d'une conférence de presse à Rennes, dans l'ouest de la France, le 13 décembre 2023 - Photo DAMIEN MEYER / AFP

La France l’a échappé belle ! Une tentative de meurtre, un projet d’attentat, un massacre collectif majeur… voilà ce à quoi on a échappé, de justesse, dans un collège des Hautes-Ourmes à Rennes, en Bretagne. La criminelle l’a déclaré haut et fort : « J’ai envie de tuer quelqu’un aujourd’hui”. Et elle ajouté : “Ça s’est passé à Arras, je vais faire pareil”. Entendez, tuer un professeur à l’arme blanche, comme le professeur Bernard, égorgé par un ancien lycéen radicalisé. D’ailleurs, la collégienne a sorti un grand couteau de cuisine de son cartable, menacé sa professeure d’anglais, et il a fallu évacuer la classe en urgence.

Criminelle récidiviste ! Déjà, au mois de juin, avant l’affaire Bernard, elle avait fait l’objet d’un passage en conseil de discipline à la suite de menaces verbales et injures à un professeur. Le conseil de discipline avait décidé de son exclusion.

Immédiatement, on s’émeut. Le procureur de la République de Rennes donne une conférence de presse. Les détails sont décrits comme effrayants. Longuement, le magistrat détaille la scène, les mots employés, la longueur du couteau, 17 cm, la peur des enseignants, les autres élèves mis à l’abri… les radios l’enregistrent et diffusent, France Inter en fait son ouverture des journaux du matin, les quotidiens rapportent l’affaire en première page, on n’oublie aucun détail, aucun mot de l’assaillante, aucun frisson.

Avec cette idée sous-jacente : après la mort atroce d’un prof, Samuel Paty, et celle tout aussi horrible, du professeur Bernard, il y a deux mois, l’école de la république a échappé de peu à une nouvelle attaque à l’arme blanche. On tremble !

Une fois le grand frisson passé, on peut s’intéresser au profil de l’agresseur. Et là, on tombe des nues. Un tueur radicalisé ? Pas vraiment. D’ailleurs, le procureur précise que le parquet anti-terroriste ne s’est pas saisi de l’affaire. Et pour cause, notre potentiel tueur en série est une présumée tueuse de… 12 ans. Une collégienne. Née à Marseille, elle fait partie d’une famille de quatre enfants. Ses parents sont d’origine mongole sont installés en France depuis 2012. Leur situation est régulière. Ses proches ne sont pas connus des services de police. L’adolescente, en revanche, s’était déjà fait connaître pour des troubles du comportement et de la communication.  

Et comment cette gamine, un brin dérangée, a-t-elle été mise hors de combat ? Par le GIGN, le Raid, toute une classe héroïque de terminale ? Non. D’une façon inimaginable… un personnel de l’établissement lui a pris son couteau. C’est tout ? Oui. Peut-être une baffe au passage ? Les grands moyens, quoi !

Est-ce qu’on a dû placer cette diablesse en cellule capitonnée ? Non. On a confiné le collège, simple mesure de sécurité, et on attendu l’arrivée de la police et des pompiers sur place. Après une “retenue judiciaire”, la gamine a été examinée par un psychiatre qui a conclu que… “la mineure était ‘dangereuse pour elle-même » et que son état nécessitait des soins en milieu spécialisé.

Résumons. Une gamine de 12 ans, connue pour être un brin agitée, tient des propos de circonstance, sort un grand couteau piqué dans la cuisine de sa maman et menace sa prof et les élèves, sans tenter de passer à l’acte. Une collégienne désarmée par le premier personnel masculin venu. Et cela suffit pour justifier une conférence de presse et la Une de la presse ? On n’est pas loin du célèbre « La France a peur ! ».

Alors, certes, il y a eu Samuel Paty, et Bernard, et des violences quotidiennes dans les collèges et les lycées, et des élèves qui protestent menacent, dès qu’on prétend leur enseigner quelque chose qui heurterait leurs convictions religieuses. Certes, les collèges sont parfois explosifs, les profs sont sur les dents et les rectorats flageolants. Mais d’ici à voir – sauf élément nouveau – dans le moindre incident sérieux de la vie scolaire un épisode supplémentaire d’une spirale de la violence radicale…

Non, la France n’a pas forcément peur, mais elle est en train de perdre ses nerfs. Et c’est tout aussi dangereux.

Jean-Paul Mari