Renverser Barnier ? Pas si simple !

publié le 11/10/2024

En interrogeant les chiffres et l’arithmétique des voix, on s’aperçoit que le gouvernement Barnier risque de tenir bon jusqu’aux prochaine présidentielles. Explications.

Par Bernard Poignant

Les députés de gauche applaudissent le discours d'Olivier Faure lors du débat sur la motion de censure du gouvernement de Michel Barnier à l'Assemblée nationale. 8 octobre 2024 (Photo Telmo Pinto / NurPhoto via AFP)

La France sort d’une séquence politique de quatre mois, inédite sous la Vème République mais plus familière sous les deux Républiques précédentes. Elle s’étale du 9 juin 2024, jour des élections européennes au 1er octobre 2024, jour de la déclaration de politique générale présentée aux députés par le Premier Ministre, Michel Barnier. Trois dimanches électoraux en un mois, des jeux olympiques et paralympiques réussis du 26 juillet au 8 septembre, un Premier Ministre nommé le 5 septembre après huit semaines de gouvernement démissionnaire, un gouvernement nouveau annoncé le 27 septembre.

Mais qui a gagné cette élection législative consécutive à la dissolution de l’Assemblée Nationale ?

L’élection n’est pas le scrutin. Elle indique l’opinion dominante des citoyens à chaque tour de vote. Cette fois il n’y a pas de doute : le 30 juin, au premier tour, le Rassemblement National et ses alliés ont réuni sur leurs candidats 9 377 297 voix, soit 29,25% des suffrages exprimés (les chiffres sont ceux du Ministère de l’Intérieur, incontestés). Le Nouveau Front Populaire vient en seconde position avec 8 974 566 voix, soit 27,99% des suffrages, puis le groupe Ensemble pour la République, celui du Président, avec 6 425 217 soit 20,04% des suffrages, les Républicains enfin, se contentant de 10,23%.

Le second tour qui décide de l’élection définitive des 577 députés. Là encore, en termes de suffrages, le résultat est net : le RN réunit 10 110 088 de voix, soit 37,05% des suffrages exprimés, le NFP 7 005 499, soit 25,68%, EPR 6 314 609, soit 23,15%, LR 1474 722 soit 5,41%. Les chiffres sont différents car les configurations de candidatures ne sont plus les mêmes.

Si l’élection donne l’opinion des citoyens et donc leur préférence pour la politique à suivre, le mode de scrutin nomme, quant à lui, les députés. Les règles qui déforment plus ou moins le résultat des votes, selon les décisions de désistement avec consigne, de retrait sans consigne ou même d’élimination si le seuil de maintien des 12,5% des inscrits n’est pas atteint.

Si le Président est responsable de la décision de dissoudre, il ne l’est pas du vote des Français et de son résultat. Le scrutin du 7 juillet a donc donné une Chambre difficile à gouverner, puisque personne ne dispose d’une majorité absolue, ni même fortement relative.

Trois ensembles de députés se dégagent dans l’ordre d’importance : 193 pour le NFP, avec quatre groupes; 166 pour EPR, avec trois groupes; 143 pour l’extrême-droite, avec deux groupes. Restent LR avec 47 députés et LIOT avec 21, l’un et l’autre sans lien avec les groupes précédents, auxquels s’ajoutent quelques non-inscrits.

Fort de cette position dans l’hémicycle, le Nouveau Front Populaire déclare avoir gagné et revendique la légitimité de former le gouvernement en excluant tous les autres et en affirmant que son programme ne peut recevoir aucune modification. Ses composantes mettent quinze jours à choisir un leader accepté par tous, une jeune énarque chargée des finances de la ville de Paris.

Cette position est une impasse et cantonne la coalition à un isolement politique dans la Chambre. Elle attend le départ d’Emmanuel Macron. Soit par une destitution qu’elle sait impossible, soit en patientant pour 2027. Elle pourra alors protester. Elle pèsera peu ou de manière négative. La gauche ferait mieux de se préoccuper des électeurs du RN dont beaucoup viennent de chez elle, notamment de ces terres traditionnellement de gauche dans les Hauts de France et en Provence-Côte-d ’Azur.

L’extrême-droite fait élire deux députés en 2012, tous deux du Midi, puis huit en 2017 dont cinq dans le Nord-Pas-de-Calais, avant les 89 de 2022 et les 126 de 2024. Si la gauche reste aveugle sur cette réalité, elle se cantonnera à ses 30% au maximum dans les élections nationales et renoncera à présider et gouverner la France.

Concernant l’extrême-droite, elle est rejetée par tous les groupes. Personne ne songe à la faire entrer dans un gouvernement. Il faut cependant tenir compte des souhaits des millions d’électeurs qui se sont portés sur ses candidats. Ses représentants doivent être respectés dans leurs droits de parlementaire au risque d’accentuer leur radicalité. Tout gouvernement a besoin de sa neutralité, certains diront de sa complaisance et les plus sévères, de sa complicité. Quant au groupe qui se réclame du Président, il a perdu sans être pour autant écrasé. Il se retrouve avec 166 députés au lieu des 250 de la mandature précédente. C’est une défaite, pas une déroute.

Le PS se rappelle de sa déroute de mars 1993 : il a perdu 220 députés ! Il doit donc rechercher un allié pour construire une majorité encore plus relative que la dernière fois. A gauche c’est fermé, même pour Bernard Cazeneuve, à l’extrême-droite c’est exclu. Restent LR et LIOT pour forger une coalition. Avec LR, cela donne 213 députés, 234 si on ajoute LIOT, à condition que la politique respecte cette arithmétique, ce qui est loin d’être assuré. Vient alors une question que beaucoup se posent : ce gouvernement ou cet attelage gouvernemental peut-il tenir et combien de temps ?

Pour le faire chuter, il faudrait qu’une motion de censure soit votée et rassemble 289 députés. La signer est facile, la faire voter est autre chose. Personne n’a intérêt à renverser ce gouvernement tant que l’Assemblée ne peut être dissoute car le Président renommerait le même Premier Ministre et au moins la même coalition.

On voit mal la gauche être choisie par le Parlement si le gouvernement est tombé avec les votes du RN. L’article 12 de la Constitution est clair : « Il ne peut être procédé à une autre dissolution dans l’année qui suit ces élections ». Soit après le 7 juillet 2025 car celles de 2024 se sont terminées le 7 de ce mois et on imagine mal une élection en plein été. Plus fondamentalement, ce nombre de 289 députés ne peut être atteint qu’à une condition : le NFP et l’extrême-droite doivent additionner et mêler leurs votes. Le total donne en effet 340 (193+147). Le compte est bon sur le papier. Mais l’arithmétique, une fois de plus, ne ferait pas bon ménage avec la politique.

La gauche a été en pointe pour barrer la route au RN dans les urnes. Elle ne peut pas mêler ses voix avec lui dans l’hémicycle, d’autant qu’il n’y a pas d’alternative avec cette addition baroque et choquante. La gauche parle de « coup de force » et de « déni de démocratie » de la part d’Emmanuel Macron. Elle serait accusée de « coup de Jarnac » et de « déni de moralité ».

Voilà pourquoi, sans accident et sauf événement imprévu, le gouvernement de Michel Barnier devrait cheminer jusqu’en 2027. Non pas tranquillement car l’actualité le rattrapera très vite, sans doute de manière chaotique. Il y a fort à parier que les couacs dans le gouvernement, sa majorité parlementaire relative, les voix discordantes des uns et les ambitions présidentielles des autres, ne lui faciliteront pas la tâche. Pourtant, ni le Président, ni le Premier Ministre n’auront intérêt à casser leur duo. Michel Barnier voudra terminer en Premier Ministre de mission et non de carrière. Emmanuel Macron voudra quitter l’Élysée en espérant être aimé des Français.

Par Bernard Poignant