Repentis : la botte secrète italienne

par Marcelle Padovani |  publié le 17/05/2024

La France, impressionnée par l’efficacité des lois antimafia, veut faire du statut de repenti une arme contre la criminalité

Tommaso Buscetta pendant sa déposition à la prison de Rebibbia à Rome. Octobre 1984 -Photo leemage

Le juge Giovanni Falcone fut l’un des premiers magistrats à mettre en pratique deux lois qui sont devenues la clé de voute de l’appareil législatif de l’Antimafia italienne. Le texte de 1980 qui inventait le statut de « repenti » de la mafia et celui de 1982 qui introduisait le délit d’« association mafieuse ». Les magistratures et les policiers du monde entier les envient parce qu’elles ont permis le démantèlement de la Cosa nostra sicilienne et la mise en difficulté des autres mafias. Le ministère français de la Justice étudie d’ailleurs un texte sur les repentis pour pouvoir mieux lutter contre le trafic de drogue.

Première innovation de la législation péninsulaire : la loi sur les « repentis », baptisés dans le Code pénal « collaborateurs de la justice », offre d’importantes remises de peine aux mafiosi qui donnent des informations inédites sur leur organisation. Ils sont aujourd’hui encore 949 à bénéficier des avantages de cette disposition. Le repenti et sa famille, sous la protection de la police, acceptent le transfert hors de leur région d’origine, ainsi que leur changement d’identité. Leur loyer est payé par l’État et ils perçoivent pour survivre une sorte de salaire de l’ordre de 1 200 euros par mois.

Le premier grand repenti de la mafia, Tommaso Buscetta collabora avec Falcone dès 1983 et fut l’un des grands accusateurs du « maxi procès » de 1988 avec plus de… 2 000 inculpés ! Il échappa ainsi à la prison et s’exila aux États-Unis. Gaspare Mutolo, poursuivi pour appartenance mafieuse et trafic de stupéfiants, emprisonné depuis 1996 depuis près de dix ans et condamné à 20 ans de plus, fut remis en liberté, changea de nom et devint peintre naïf, une vocation tardive. Il avait permis entre temps d’accumuler les preuves de la culpabilité du parrain de Cosa nostra, le dénommé Totò Riina. Et de faciliter les 19 condamnations à la perpétuité des boss de Cosa Nostra lors du « maxi procès ». Il fait maintenant des expositions saluées par les médias.

L’autre originalité, probablement encore plus efficace, de l’Antimafia italienne est l’introduction du « délit d’association mafieuse » dans le Code pénal. Jusqu’à cette date un mafioso dont on ne parvenait pas à démontrer la culpabilité pour tel ou tel délit, était remis en liberté. Ce ne fut plus le cas à partir de 1982. L’appartenance – démontrable – de l’inculpé à une association criminelle telle que la mafia devenait suffisante pour qu’il soit condamné. La Cosa nostra sicilienne fit ainsi littéralement démantelée, privée progressivement de tous ses boss.

L’efficacité de l’Antimafia italienne sera célébrée ce 23 et 24 mai, à l’occasion de l’anniversaire de l’assassinat à Palerme du juge Falcone. Le colloque international sera consacré au trafic de stupéfiants en Amérique latine et aux méthodes pour le combattre. Rome donne l’exemple.

Marcelle Padovani

Correspondante à Rome