Résurrection d’un charlatan

par Laurent Joffrin |  publié le 16/11/2023

Le « gourou du cru », un temps réduit au silence par la justice, a repris du service, comme tant de ses émules. Fort heureusement, le gouvernement semble avoir pris la mesure du danger.

Laurent Joffrin

Dans le premier numéro du site LeJournal.info, nous racontions l’histoire de Thierry Casasnovas, gourou du mouvement crudivore, pour qui la consommation d’aliments crus permet de soigner toutes sortes de maladies, dont le cancer et la dépression.

Ce personnage que les nutritionnistes un tant soit peu sérieux tiennent pour un charlatan avait été mis en examen et placé en garde à vue. Il lui était reproché de faire argent de la crédulité publique pour s’enrichir en préconisant des régimes farfelus et souvent dangereux ; il avait fait l’objet de quelque 600 signalements à la Miviludes, la commission chargée de lutter contre les dérives sectaires ; il avait aussi conseillé à ses fans de soigner le Covid avec des bains froids. Ce à quoi il faut ajouter – pour donner le contexte – qu’il entretient des liens amicaux avec les antivax, le blogueur antisémite Alain Soral ou le négationniste Dieudonné. Et donc, pour saluer l’action de la justice, nous avions finement titré ce papier « le gourou du cru est cuit ».    

Las ! Notre titre était trop optimiste. Le Figaro nous apprend que ce Casasnovas est de retour sur YouTube où il compte un nombre écrasant de soutiens, cette fois pour expliquer que – dans certaines conditions – le « manger cru » et la consommation de jus et de tisanes permettent de faire repousser un bras amputé (sic). Après sa garde à vue, Thierry Casasnovas avait pourtant été placé sous contrôle judiciaire, avec « interdiction de participer ou d’organiser des stages et des formations en lien avec la naturopathie, l’hygiénisme, la santé ou le bien-être ». Ce qui ne l’empêche pas de reprendre ses activités comme si de rien n’était.

Certains parleront de simples faits divers. Erreur : comment ne pas faire le lien entre la montée en puissance de cet irrationnel aux apparences folkloriques avec la dégradation continue du débat public et l’invasion des « vérités alternatives » qui infestent désormais le discours politique ? Si une bonne partie des électeurs croient qu’en buvant des tisanes on peut soigner le cancer avec efficacité, pourquoi rejetteraient-ils ces partis extrêmes qui usent de la même pensée magique pour gagner des voix ?

Alors ? Irrésistible prolifération des vendeurs d’illusion ? Résilience déprimante de l’irrationnel dans nos sociétés, favorisée par le net, qui enferme les croyants dans une bulle numérique qui les rend insensibles à tout raisonnement logique ?  Pas tout à fait. On doit souligner que le gouvernement semble cette fois prendre l’affaire à bras le corps. En effet Le Monde nous apprend que la secrétaire d’État chargée de la citoyenneté et de la ville, Sabrina Agresti-Roubache, doit présenter en conseil des ministres un projet de loi introduisant un nouveau délit, celui de « provocation à l’abandon ou l’abstention de soins ou à l’adoption de pratiques dont il est manifeste qu’elles exposent la personne visée à un risque grave ou immédiat pour sa santé ».

La santé est devenue le terrain de prédilection de ces prédicateurs hurluberlus à la dangerosité établie, ce qui explique la croissance spectaculaire de des pratiques imbéciles : la Miviludes a comptabilisé 4020 saisines en 2021, en hausse de 36% par rapport à 2020. Il nous arrive souvent d’adresser nos critiques au gouvernement d’Élisabeth Borne. Cette fois, il faut l’encourager vivement à poursuivre son action.

Laurent Joffrin