Retraite : le compromis est possible ! 

par Gilles Bridier |  publié le 10/12/2024

Pour avancer sur la réforme des retraites, mieux vaudrait ne pas agiter le chiffon rouge de l’âge de départ.

Grève de la fonction publique à l'appel des syndicats, à Toulouse, le 5 décembre 2024. (Photo de Jean-Marc Barrère / Hans Lucas via AFP)

Rêvons un peu. Puisque le lourd dossier de la réforme des retraites va revenir au coeur des débats politiques, rêvons que les partis qui s’affrontent n’ouvrent pas d’entrée de jeu le chapitre le plus explosif : l’âge de départ. Il est vrai que repousser de deux ans un âge couperet, à l’aveugle et pour tous les travailleurs (quels que soient leur sexe, l’âge auquel ils sont entrés sur le marché du travail, la pénibilité de leur emploi, les interruptions de carrière, etc…) ne peut qu’aboutir au blocage des débats compte tenu du caractère brutal et borné de la mesure. Mais on pourrait aussi choisir de contourner l’écueil. Un tel scénario n’est pas irréaliste. Il a même déjà été échafaudé et discuté. C’est celui de la retraite à points.

Souplesse et individualisation

Le principe est bien connu, et il fonctionne en France pour les retraites complémentaires. Les cotisations qui sont versées tout au long d’une carrière professionnelle sont converties en points. Ceux-ci vont déterminer le montant de la pension au moment de la cessation d’activité, en fonction de la valeur actualisée du point. Plus on commence à travailler jeune, plus on commence tôt à cumuler des points et plus on arrive tôt à un total de points permettant le départ en retraite. Fini le débat sur les carrières longues. Pour les métiers pénibles, on peut même imaginer qu’un coefficient soit affecté à l’obtention de points, ou que des points additionnels soient versés au compte du cotisant pour un départ précoce en retraite. Voilà pour la pénibilité. Et si on souhaite une pension plus élevée, on peut aussi travailler un peu plus longtemps pour ajouter des points. Tout cela sans renoncer au principe du système par répartition qui établit un lien intergénérationnel. 

Ce modèle de retraite est défendu depuis longtemps, notamment par la CFDT qui en vante les mérites depuis 2010. De telle manière que le Sénat, au moment où il validait la réforme Fillon qui reculait l’âge de départ à 62 ans, ouvrait la porte à une réflexion en profondeur sur ce système. Mais sous la pression des marchés financiers, il fallait réformer vite, même en sachant que les nouvelles conditions n’étaient pas pérennes. Quatre ans plus tard, la réforme Touraine augmentait progressivement la durée de cotisation pour obtenir une retraite à taux plein, mais sans toucher à l’âge légal de départ. 

La tentative avortée d’Emmanuel Macron

Pourtant, l’hypothèse d’une réforme du système n’était pas abandonnée. Le Conseil d’orientation des retraites (COR) élabora notamment un scénario très précis du mode de fonctionnement par points, avec les taux de cotisation, la valeur du point, le rendement de la formule, et le mode de transition d’un système à l’autre. Emmanuel Macron lui-même avait souscrit à l’option de la retraite par points, lorsqu’il tenta de faire passer une réforme au cours de son premier quinquennat. A l’inverse d’un réforme « paramétrique » qui aurait seulement consisté à pousser un peu plus le curseur de l’âge de départ, il proposait une réforme « systémique », en profondeur. 

Mais plutôt que de chercher des soutiens – notamment du côté de la CFDT – le Président, qui souhaitait s’affranchir des corps intermédiaires pour gouverner, se heurta à une forte opposition lorsque fut introduite la notion « d’âge pivot » à 64 ans. Maladresse !  N’était-ce pas le faux-nez d’un vulgaire report de l’âge de départ en retraite ? 

L’opposition fit bloc, la crise des « gilets jaunes », puis celle du Covid torpillèrent le projet. En renonçant, le chef de l’Etat trahissait la CFDT qui s’était engagée. La réforme « systémique » était abandonnée, une réforme « paramétrique » allait prendre le relai au second quinquennat, d’un coût politique bien plus élevé compte tenu de l’absence de dialogue. Un échec pour le chef de l’État.

Suite aux démissions forcées des gouvernements Attal et Barnier, le travail est à nouveau sur le métier. Un système de retraite par points peut comporter des inconvénients : dans un pays où quelque 42 régimes de retraite différents coexistent, il serait bien naïf d’espérer contenter tout le monde. Des compromis devraient être acceptés, les employeurs eux-mêmes devraient être impliqués pour permettre à leurs salariés d’avoir une meilleure maîtrise de leur fin de carrière. En bout de course, même sans âge couperet, il y aurait toujours une durée minimale de travail pour partir en retraite avec une pension convenable. Mais l’âge de départ ne serait plus la pierre angulaire du système.

Aujourd’hui, les retraites complémentaires – à points – fournissent un bonus à la retraite de base (plafonnée à 1932 euros par mois) par répartition. On peut aussi imaginer des retraites supplémentaires souscrites sur la base du volontariat avec des coups de pouce de l’État, à l’image de la Préfon pour les fonctionnaires ou des Plans d’épargne retraite (PER) individuels ou d’entreprises. L’innovation n’est pas proscrite. La réforme Borne implique des révisions, voire une remise à plat ou une abrogation. 

Une refonte du système est-elle envisageable ? Pour pouvoir avancer, il s’agirait d’éviter d’agiter le chiffon rouge de l’âge couperet. On peut rêver. 

Gilles Bridier