Richi Sunak, le mirage rwandais

par Denis McShane |  publié le 26/04/2024

Le Premier ministre britannique pense qu’en obligeant les réfugiés à présenter leur demande d’asile, non au Royaume-Uni, mais au Rwanda, il gagnera les élections. Il se trompe lourdement

Dennis McShane- Photo AFP

Rishi Sunak, fils de deux immigrés indiens d’Afrique de l’Est, joue désormais sa survie politique sur la répression… des immigrés. Alors même que le Brexit devait lui permettre de « reprendre le contrôle », la Grande-Bretagne accueille désormais un j’ombre d’immigrants égal à la moitié de la population de la Suisse. En dépit de cet échec spectaculaire, la droite anti-immigration et anti-réfugié, soutenue par la presse Murdoch, pense qu’il s’agit d’un sujet qui permettra de gagner des élections.

Certains arrivent par des zodiacs qui traversent la Manche en partant clandestinement des dunes situées entre Calais et Boulogne-sur-Mer. Leur nombre est passé de 2999 en 2018 à 29 000 en 2023. Il y a deux ans, Boris Johnson a annoncé qu’il comptait expulser vers le Rwanda tous les réfugiés arrivant par la mer. Devenue la doctrine du Parti conservateur, la théorie veut que si les hommes, les femmes et les enfants fuyant les États en déliquescence du Pakistan au Soudan savent qu’ils seront expulsés vers le Rwanda, ils cesseront de venir. Et, au bout du compte, les électeurs britanniques reconnaissants récompenseront M. Sunak dans les urnes. 

En fait, Rishi Sunak s’inspire de Benjamin Netanyahou. Il y a dix ans, Israël avait proposé de verser au Rwanda 5000 dollars par réfugié qui serait accueilli dans ce pays après avoir été refoulé d’Israël. Quelque 4 000 demandeurs d’asile érythréens et soudanais parvenus en Israël ont ainsi été envoyés au Rwanda et en Ouganda entre 2013 et 2018. Mais ces réfugiés expulsés n’ont pas été enfermés au Rwanda. Ils se sont rapidement remis en chemin vers le nord pour retourner en Israël, de sorte que Netanyahou a fini par abandonner sa politique.

Outre l’inefficacité du dispositif, Rishi Sunak se heurte à un obstacle juridique. Pays démocratique, le Royaume-Uni dispose d’une législation sur les droits de l’homme et il est signataire des conventions internationales. Pour les contourner, Sunak a fait voter au Parlement une loi spéciale qui suspend l’obligation internationale du Royaume-Uni en matière de traitement des demandeurs d’asile. Quoique menacés d’une défaite électorale massive, les conservateurs disposent encore d’une large majorité de députés. Ils ont donc imposé leur réforme en dépit des efforts des nombreux juges et juristes à la retraite qui siègent à la Chambre des Lords.

Créé par Winston Churchill après la Seconde Guerre Mondiale, le Conseil de l’Europe et sa Cour européenne des droits de l’homme ont alors déclaré que la nouvelle loi constituait une violation du droit international – et était donc illégale. Les avocats hostiles au projet sont prêts à saisir la Cour européenne des droits de l’homme, dont l’examen peut prendre un an ou plus. Mais Sunak veut montrer dès cet été aux électeurs, avant les élections donc, des avions quittant l’Angleterre avec à leur bord des réfugiés à la peau noire ou brune expulsés vers le Rwanda. Il faut préciser que chaque réfugié sera accompagné dans l’avion par trois gardes-frontières. On estime que le coût de cette lubie pour le contribuable britannique s’élèvera à environ 430 millions d’euros.

La droite anti-européenne du parti conservateur semble désormais haïr le Conseil de l’Europe autant qu’elle haïssait l’Union européenne. Sunak a ainsi déclaré qu’il était prêt à quitter la Convention européenne des droits de l’homme et à retirer l’Angleterre du Conseil de l’Europe si les juges de Strasbourg cherchaient à protéger un seul des réfugiés qu’il veut expulser vers le Rwanda – un pays désormais dénoncé par Human Rights Watch et Amnesty International comme une autocratie africaine de plus, sans liberté des médias, sans droit de protestation ni droit de manifester contre le gouvernement. Cette décision ferait de Rishi Sunak un émule de Vladimir Poutine, seul chef d’une grande nation à avoir quitté le Conseil de l’Europe.

En fait, tout cela ne touche guère les électeurs britanniques. Ils se souviennent que le Brexit avait été remporté par les partis nationalistes en affirmant qu’il permettrait à la Grande-Bretagne de contrôler l’immigration. Or c’est le contraire qui s’est produit. L’année dernière, Sunak a dû faire venir 654 000 travailleurs du Pakistan, de l’Inde et du Nigéria pour remplacer les travailleurs européens que Londres a cessé de faire travailler en Grande-Bretagne depuis le Brexit. Quand on les interroge, les électeurs ne mentionnent pas le Rwanda ou pensent que le petit nombre de boat people arrivant sur les côtes anglaises pose des problèmes mineurs en regard des autres problèmes auxquels la Grande-Bretagne est désormais confrontée à cause du funeste isolationnisme mis en place par le Brexit.

Denis MacShane était le ministre des Affaires européennes dans le gouvernement de Tony Blair. 

Denis McShane

Correspondant à Londres