Rien ne va plus !

par Emmanuel Tugny |  publié le 05/11/2024

L’esprit sans doute trop occupé à humer les effluves nauséabonds de la joute présidentielle américaine, on l’oublie volontiers : l’élection du 5 novembre est une élection générale qui comprend un volet législatif.

 

Dessin de Bendak

Le 5 novembre, l’électorat américain (244 millions d’inscrits) sera en effet convié à élire, outre les 538 « grands électeurs » par le truchement desquels il choisira Harris ou Trump, plusieurs centaines de représentants au Congrès des États-Unis qui, comme en France, est bicaméral.

Il devra renouveler d’un tiers le parterre du Sénat (34 membres sur 100, élus depuis 1913 au suffrage universel direct) et désigner un nouvel aréopage de représentants (435 élus). Tout l’indique : le plan législatif de l’élection ne sera pas le lieu d’une décision plus tranchée du peuple américain que son plan présidentiel.

En effet, de même que la conjugaison de l’éthos, du « mode d’être » révoltant de Trump, de la tiédeur contrainte d’Harris et de la conduite sous sénescence de Biden, exaspère le jeu de l’élection-reine et le rend plus incertain que jamais, les lignes de fracture massives qui traversent aujourd’hui une société américaine livrée à des transitions inédites vouent l’élection législative 2024 à la plus haute imprévisibilité.

Le Sénat est pour l’heure démocrate, mais le parti d’Harris voit s’y affronter deux camps à couteaux tirés.

D’un côté, les modérés (épigones des élus qui fondèrent en 2007 le « Moderate dems working group », tels Kyrsten Sinema, Joe Manchin, Bob Casey ou Tom Carper), sont soucieux de garantir l’unité nationale et la pérennité de l’État-providence, la réduction des déficits publics, la projection internationale d’une Amérique dont le rayonnement démocratique assurerait le maintien des positions économiques.

De l’autre, les « gauchistes » de tous poils (tels Bernie Sanders, John Tester, Sherrod Brown, Elizabeth Warren ou Chuck Schumer) sont bien décidés à gourmander un pays dont la brutalité à l’endroit de ses minorités, de son prolétariat, de ses femmes, a fait la paradoxale réputation, alors même qu’il s’est toujours posé en rejeton de l’universalisme des Lumières ou de l’« Enlightment ».

Le parti de l’âne se déchire – la neutralité de la campagne d’Harris l’atteste – et ses déchirements sont de nature à lui valoir de nombreuses défections, chez les modérés versatiles ou les ultras abstentionnistes.

Quant au GOP, il détient pour l’heure une majorité à la chambre basse placée sous la présidence de Mike Johnson, dont l’action fut décisive au moment où les MAGA aux ordres de Trump pratiquaient l’abjecte rétention de l’aide à l’Ukraine destinée à saborder la politique internationale de Biden.

À la Chambre des représentants, comme au Sénat, les républicains sont aussi divisés que les démocrates et ulcèrent leurs électeurs qui goûtent peu la guéguerre mesquine que s’y livrent centristes « reaganiens », attachés au rayonnement américain à l’extérieur, à une politique migratoire raisonnable au regard des enjeux de production, et aux valeurs chrétiennes, tels Steve Scalise ou Kevin Mc Carthy, et trumpistes démagogues, populistes, xénophobes, virilistes, impudents et outrageusement isolationnistes, favorables à une fuite en avant autoritaire, et qui ont trouvé en Marjorie Taylor Greene une coruscante figure de proue…

L’électeur du GOP, face aux bisbilles indignes qui s’étalent devant ses yeux entre représentants républicains « bourgeois » et « populaires » pourrait être tenté, non pas de voter pour les démocrates, dont la veine « wokiste » lui est trop urticante, mais de se réfugier dans l’abstention boudeuse.

Mais que disent donc les sondages des élections législatives américaines 2024 ?

Rien, ou du moins pas davantage qu’ils n’en disent de la présidentielle, chacune des élections accentuant l’illisibilité de l’autre, dont elle conditionnera le résultat et ses conséquences de mandature.

Rien ne va plus, au cœur vibrant de la roulette américaine : faites vos jeux !

Emmanuel Tugny

Emmanuel Tugny