Roger Wybot, légende du renseignement
Au moment où les services français de renseignement changent de responsables, il faut relire : « Roger Wybot et la bataille de la DST ». Une vie aux airs de Bureau des Légendes
En 1935, Roger Warin, officier de réserve, entre dans l’armée d’active, après être passé par l’École d’application de l’artillerie de Fontainebleau. En 1940, à la suite de l’armistice, il souhaite continuer la lutte et choisit Vichy… pour servir Londres comme agent double. Il fait de l’entrisme au Centre d’Information et d’Études, un organisme officiel de Pétain, détourné en réseau de résistance camouflé.
Il est alors intégré dans le BMA (Bureau des menées antinationales) de Marseille, centre de contre-espionnage devant officiellement collaborer avec l’ennemi. Roger Warin a alors 28 ans. Il aide des agents gaullistes à échapper à la police, comme Marie-Madeleine Fourcade, seule femme chef de réseau dans la France occupée.
Sur le point d’être arrêté, il part pour Londres passant par l’Andorre, l’Espagne et le Portugal. C’est à ce moment qu’il devient officiellement membre de la France Libre, et qu’il choisit son pseudonyme de Wybot.
La première rencontre avec le Général est orageuse. Il ose lui dire la vérité à savoir que la grande majorité des Français ne le connaissent pas, voire préfèrent le Marechal. C’est un gamin insolent -il parait 17ans- et un homosexuel. Ça ne l’aide pas ! Le Général en gardera un mauvais souvenir, mais l’envoie au colonel Passy.
Wybot, fort de son expérience à Marseille continue sur sa lancée : il critique sévèrement les équipes en plan devant le colonell. Sans fard : « Vous croyez faire du renseignement, en réalité vous jouez au boy-scout ». Passy l’entend et lui demande de proposer une réorganisation du service, qui devient le Bureau Central de Renseignement et d’Action (BCRA) et s’installe à Duke Street. Très vite chargé du contre-espionnage, Wybot fera échouer les nombreuses tentatives d’infiltration de la France libre par les services allemands ou même britanniques.
Mais entre la France libre et la résistance intérieure, entre le soutien britannique et la méfiance américaine, entre de Gaulle et Giraud, les intrigues se multiplient qui jettent des Français les uns contre les autres. Alors il suit son tempérament : il claque la porte ! En désobéissant, il se fait muter sur les champs de bataille… en Libye, en Tunisie, et en Italie où il fait montre de bravoure physique, tout en apprenant par cœur les poésies de Valery et Mallarmé.
À la Libération, dans la pagaille ambiante, on le retrouve à Paris chargé de mission à la Sûreté nationale. Il n’a pas 30 ans quand il est en charge d’un service… qui n’existe pas encore : la DST. Au fil des ans, il en fera un des remparts de la République.
Wybot mobilise un état-major composé d’anciens camarades de combat des campagnes d’Afrique et d’Italie. Ses effectifs approchent les 2000 agents, dont 600 techniciens et personnels administratifs dotés des technologies les plus avancées pour l’époque. Seuls le ministre de l’Intérieur et le directeur de la sureté nationale de l’époque ont autorité sur eux. Il voit défiler à ce poste 28 ministères, 12 ministres de l’intérieur et 5 directeurs généraux de la sûreté.
On notera qu’en dépit des informations secrètes qu’il accumule il ne les utilisera jamais à d’autres fins que républicaines. Comparé à Edgar Hoover, son éthique est bien plus rigoureuse. Ses ennemis ont cherché à la salir ou à l’abattre en vain pendant 14 ans ! Sa force : c’était un moine soldat.
De la guerre froide a la décolonisation il est sur tous les fronts. C’est lui qui découvre que le ministre de l’Intérieur de la Résistance, Emmanuel d’Astier, est secrètement proche de Staline. Lui qui aide discrètement le Mossad à protéger de Paris les réfugiés de l’Exodus. Lui qui prouve que René Hardy a menti et a probablement trahi Jean Moulin. Lui qui débusque Joseph Joanovici, le ferrailleur milliardaire ami de la Gestapo. Lui qui accuse de trahison le Secrétaire Général de la Défense Nationale. Lui qui réussit des coups de filet spectaculaires sur les réseaux terroristes du FLN.
Mais en décembre 1958 il est débarqué à la surprise générale, sans explication claire, alors qu’il a contribué au retour du Général. Certains feront circuler une fable : il aurait fait installer des micros à l’hôtel du Général, pour l’espionner. Faux. L’explication est plus politique. Il n’était guère convaincu par l’avenir d’une Algérie indépendante. Et de Gaulle savait qu’il ne serait pas facile à manipuler.
Roger Wybot consacrera ses dernières années -jusqu’à sa disparition en 1997- à écrire des pièces de théâtre à clés… qui ne seront jamais jouées. Nul n’entendra sur scène l’un de ses personnages déclarer : « Si nous restons trop longtemps sans agir, le peuple s’endort dans ses fers sans plus songer à se libérer… » Prophétique.