Rome : la folle manif pour l’Europe

par Marcelle Padovani |  publié le 14/03/2025

Improvisé, sans mot d’ordre, organisé dans la plus grande confusion, le rassemblement de Rome en faveur de l’Europe pourrait faire date dans l’histoire politique du pays.

Lors d'une précédente manifestation en faveur de l'Ukraine à Rome, le 2 mars 2025. (Photo RICCARDO DE LUCA / Anadolu via AFP)

C’est une manifestation à nulle autre pareille. Samedi 15 mars à Rome, sur la Piazza Del Popolo, un vaste rassemblement pro-européen doit se tenir, à l’appel non d’un parti ou d’une organisation quelconque, mais d’un journaliste de la Repubblica. Chroniqueur chevronné, ancien communiste, Michele Serra a fait part dans son article de son inquiétude pour l’Europe, prise en étau entre une Russie agressive et une Amérique hostile. Fervent, dramatique, son appel a suscité une émotion nationale et incité nombre d’Italiens à manifester à Rome.

Dans un pays où l’extrême-droite domine, où la cheffe du gouvernement proclame sa proximité avec Donald Trump, l’événement, quoique non-partisan, prend un tour très politique. Jeudi après-midi, déjà, la Piazza del Popolo était occupée par un afflux de bus, des motos, de trottinettes, de membres de services d’ordre en patrouille et de futurs manifestants venus tâter le terrain. Convoquée à la va-vite, sous le coup de l’émotion, sans véritable slogan, si ce n’est le mot « Europe » sur fond de drapeau bleu, la manifestation pourrait marquer une date dans la vie nationale italienne.

S’il se confirme, cet engouement populaire est d’autant plus surprenant qu’il se déroule sous le sceau de l’ambiguïté. Ceux qui manifesteront ensemble, en effet, sont profondément divisés. Certains croient dans une Europe spontanément solidaire et pacifique, d’autres la pressent de se réarmer pour affronter Poutine. Les uns plaident pour une paix immédiate, d’autres pour une aide accrue à l’Ukraine combattante. Certains pensent que dépenser 800 milliards d’euros pour la défense est une pure folie et sont prêts à tous les accommodements au nom du pacifisme. D’autres encore saluent ce premier vrai « meeting pluriel ». Quant aux militants et aux adhérents des partis, des syndicats ou des associations, ils défileront avec leurs objectifs propres, souvent divergents.

Devant le phénomène, tous les politiques ont dû prendre position, de la patronne de l’exécutif Giorgia Meloni à l’extrémiste de droite Matteo Salvini, du crédible Romano Prodi à Giuseppe Conte, chef du Mouvement 5 Étoiles. Dans le plus grand désordre : Giorgia Meloni, fan de Donald Trump, s’écrie le 12 mars, après le vote de Strasbourg sur le soutien à l’Ukraine : « Basta toutes ces attaques contre Donald ! Il faut renforcer la coopération transatlantique ». Matteo Salvini, déclare, lui, « Bruxelles nous fait chier » (« ci rompe le palle »). Giuseppe Conte trouve l’Union européenne « trop belliciste » mais Romano Prodi soutient que le « réarmement est un premier pas nécessaire » et que « si l’on construit l’armée commune européenne, Poutine se trouvera ligoté ».

Il est probable que les Italiens se reconnaissent dans cette confusion, ces hésitations et ces contradictions, renouvelées sur la piazza del Popolo : tout en approuvant l’Europe, ils déclarent à 60 % ne pas vouloir un seul soldat italien en Ukraine. Mais l’important, comme dit Michele Serra, c’est qu’ils défendent, quel qu’en soit le moyen, « des territoires et des valeurs européennes ».

Marcelle Padovani

Correspondante à Rome