Rome : silence, on deale
Comment faire son marché de drogues dures à la Tour de la Belle Nonne…à deux pas du Vatican
Deux tours de quinze étages, des HLM. Une église malingre. Un espace urbain exempt de services. Une zone franche sans l’ombre d’un policier. Ici, 28 000 habitants essaient de vivre, à 20 kilomètres seulement du centre de Rome. Nous sommes à Tor Bella Monaca , la Tour de la belle nonne, dite aussi « la capitale du deal ». En somme la face sombre de la « capitale de la Dolce vita », la Rome historique. Loin du Colisée donc , du Capitole, du Vatican, des œnothèques, des grands hôtels et des célèbres night-clubs.
Quiconque déboule à Tor Bella Monaca ne peut qu’être saisi par l’impression de pauvreté diffuse, d’état d’urgence dans les regards. 41 % des habitants vivent en état d’indigence absolue, 22 % sans aucun revenu identifiable. Ce territoire, en partie agricole, au sud-est de Rome, entre l’autoroute vers Naples et celle vers L’Aquila, a été envahi par la drogue il y a quatre décennies. Le deal y est devenu l’occupation numéro un. Celle qui garantit à un « pusher » bien rodé un revenu quotidien qui peut atteindre 200 euros. Les adultes étant souvent en prison, ce sont donc les jeunes qui gèrent la vie quotidienne.
Mettant en pratique une méthode gagnante que raconte le journaliste Carlo Musilli : « Les trafiquants en cocaïne ou héroïne ont appris à bénéficier du soutien, ou au moins de la complicité, de la population, qui est devenue “omertosa”, c’est-à-dire muette ». Cette « autre Rome » a ainsi banalisé le trafic de stupéfiants à une demi-heure du Colisée. Une floppée d’agences bancaires se sont installées attirées par l’odeur de l’argent. Mais aucun signe de développement économico-touristique, si ce n’est un immense hôtel de trois étages peint en vert et jaune qui, si l’on en croit les ragots, n’accueille, dans sa centaine de chambres, que de puissants dealers ou des prostituées et leurs clients.
Pier Paolo Pasolini, poète, écrivain, cinéaste décédé en 1975, a connu il y a un demi-siècle Tor Bella Monaca. C’était alors un lieu idéal pour les ballades romantiques ou érotiques, qui offrait aux amateurs une petite armée de « ragazzi di vita ». Des « garçons de mauvaise vie » qui se laissaient acheter pour une poignée de lires ou un diner dans une trattoria. Pasolini pourrait aujourd’hui se réjouir d’apercevoir sa photo encadrée au théâtre municipal réalisée par deux street artists, lorsque la ville fêta ses 100 ans. Il pourrait être rassuré par le mot d’ordre collé le 1er mai à deux pas de l’école élémentaire : « Stop rubare », « Arrêtons de voler ». Mais n’arrêtons pas de dealer. Dans sa tour,la belle nonne est une junkie n’en déplaise au Vatican.