Russie-Afrique : l’après Prigogine

par Jean-Paul de Gaudemar |  publié le 10/10/2023

Décédé dans un crash d’avion fin août, l’ex-chef de Wagner Evgueni Prigojine aura des successeurs. Le président russe Vladimir Poutine ne saurait, en effet, se priver de son réseau africain, qui lui assure, notamment, un débouché pour ses armes.

Prigogine est donc mort. Comme l’a souligné abondamment la presse, ce fut un signal de plus donné par Poutine aux élites russes : nul ne s’expose impunément à la colère du tsar. 

Mais le sort d’un Prigogine ne changera pas grand-chose ni à la tournure du monde telle que le Kremlin continue à la voir, ni aux différents scénarios possibles pour la guerre en Ukraine, ni à ce que de nombreux leaders africains attendent de Poutine et de la Russie.

On avait en effet déjà constaté lors du Sommet Russie-Afrique organisé les 27 et 28 juillet 2023 à Saint-Pétersbourg l’appétence de nombreux dirigeants africains pour une relation solide avec Poutine. Malgré la tentative de mutinerie de Wagner et de son chef intervenue un mois plus tôt, malgré le déclenchement de la guerre en Ukraine depuis le précédent Sommet de Sotchi en 2019, l’Afrique était une nouvelle fois au rendez-vous.

En ce sens, le test diplomatique passé par Poutine lui a plutôt bien réussi, malgré son supposé affaiblissement. Les questions en suspens étaient pourtant nombreuses, rupture du corridor céréalier laissant craindre de nouvelles difficultés d’approvisionnement sur le continent, devenir du groupe Wagner, livraison d’engrais, livraison d’armes.

On ne sait si Poutine fut convaincant, mais suffisamment sans doute pour que quelques jours plus tard, les 14 et 15 août, la Conférence sur la sécurité internationale et le forum Armée-2023 réunissaient encore à Moscou un nombre important de leaders africains autour d’un Forum aux accents guerriers, « La lutte contre le néo-colonialisme et le terrorisme » considérée comme « un élément fondamental de la coopération entre la Russie et l’Afrique ».

On comprend d’autant mieux cette situation qu’en ce qui concerne les dirigeants africains, l’influence russe tient beaucoup aux livraisons d’armes. Ce n’est pas en effet l’importance des échanges commerciaux avec l’Afrique qui caractérise la Russie.

Ils ne sont certes pas négligeables, mais avec 18 milliards de dollars en 2022, ils arrivent loin derrière les États-Unis (83), et encore plus loin derrière la Chine (282) et l’Europe (254). On est donc très loin du « doublement » des échanges commerciaux promis par Poutine à Sotchi en 2019, puisque le chiffre a régressé de 20 à 18 milliards de dollars. 

La Russie a néanmoins détrôné depuis 2022 la Chine en tant que premier exportateur d’armes en Afrique subsaharienne, passant de 21 à 26 % des parts de marché. Pour l’ensemble du continent, elle caracole en tête, largement devant la France, les États-Unis et la Chine. Ces livraisons ne représentent certes qu’une petite partie des exportations d’armes de la Russie (12 % en 2022), mais il est clair qu’elles lui procurent une influence politique plus importante.

Dans sa lutte diplomatique contre l’isolement, Poutine a donc tout intérêt à faire fructifier son influence en Afrique, même quand elle s’exerce sous des formes non officielles. 

Dont Wagner et le petit empire constitué par Prigogine. Non seulement par ses milices privées censées prêter main-forte aux forces gouvernementales en Centrafrique, au Mali, peut-être au Burkina et demain au Niger, mais aussi par la façon dont elles sont, en retour, récompensées par des États financièrement exsangues : Prigogine et ses entreprises-gigognes ont ainsi mis la main sur la filière du diamant en Centrafrique, ou celle de l’or au Mali et au Soudan, sur l’exploitation des forêts aux essences rares en Centrafrique et probablement ailleurs, voire celle du pétrole en Libye..

 Prigogine aura donc des successeurs, comme Concord ou Wagner, même rhabillés sous d’autres noms. Ils sont trop utiles au « hard » comme au « soft Power » russe. On voit mal pourquoi Poutine et ses complices s’en priveraient.

Jean-Paul de Gaudemar

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