Sanctions: comment faire craquer la Russie
Face au conflit ukrainien, l’Europe s’est démenée pour punir Moscou. Pour quel résultat ?
La liste des sanctions prises par l’UE contre la Russie, son proxy biélorusse, ou ses complices du Donbass, depuis l’annexion de la Crimée en mars 2014, est édifiante.
Gel et recouvrement d’avoirs, refus de délivrance de liquidités et de prêts, de visas, annulation de sommets, restriction de la coopération économique, constituèrent un hors-d’œuvre dont les termes sont résumés dans les conclusions du Conseil européen du 16 juillet 2014.
Ces premières sanctions sont constamment alourdies jusqu’en 2022, tout juste sont-elles suspendues en février 2015, à l’occasion de la conclusion des accords de Minsk, qui n’y mettent pas fin. Elles montent en gamme à l’occasion de l’inauguration du pont de Crimée ( pont du détroit de Kertch) en mai 2018.
Depuis 2022, les sanctions européennes concernent, outre un nombre toujours croissant de personnes physiques – plus de 2100 aujourd’hui – des personnes morales de droit privé ou public issues des secteurs financier, énergétique, technologique, du transport, du luxe, des matières premières, des biens dits à « double usage », civil et militaire.
Depuis mars 2022, les banques russes sont exclues du système SWIFT et certains médias russes ont cessé d’émettre en Europe (Russia today, Sputnik).
Entre février 2022 et février 2024, ce ne sont pas moins de treize trains de sanctions qui ont été votés par l’Union. Plafonnement du prix du baril russe en décembre 2022 et mise en place en février des processus réglementaires autorisant l’UE à utiliser, pour soutenir l’Ukraine, les 300 milliards d’avoirs russes qu’elle a gelés constituent, dans cette chaîne de sanctions, des étapes saillantes.
Or, la Russie semble loin d’être à genoux : la brève récession qui a suivi l’annexion de l’Ukraine l’a cédé à une reprise qui repose en grande partie sur la conversion à l’industrie de guerre (où sont employés plus d’un demi-million de Russes) d’une économie qui semble faire la démonstration que l’évitement des circuits de valeur incluant l’UE n’est plus nécessairement synonyme de faillite à court ou moyen terme.
En 2023, la croissance de la Russie – dont le PIB en volume de 2240 milliards d’euros en 2022 est inférieur à celui de nombre de pays de l’OCDE (2639 pour la France ou 3877 pour l’Allemagne)-, était en 2023 trois fois supérieure (3,6 %) à celle de la zone euro et devrait avoisiner les 2,6 % en 2024.
La monétarisation par Moscou de son économie, si elle génère une inflation douloureuse (7,4 % en glissement annuel en janvier), permet aux ménages et aux entreprises russes d’investir (+35 % de prêts hypothécaires en 2023).
Quant à l’activité, elle est une fois de plus boostée par la mobilisation d’un secteur industriel que la Russie a su ou dû préserver et maintenir à niveau au fil des décennies.
Le chômage est tombé à 3 % en 2023, la dette de 46 à 32 milliards. Moscou s’est même autorisé à annuler en juillet dernier 23 milliards de dette africaine.
Pourtant, de l’avis général, la situation de l’économie russe est en « trompe-l’œil » et repose sur une mise à disposition monétaire, visant à la fois à l’effort de guerre et au maintien du niveau de vie de la population, qui devrait déboucher « en dynamique » sur une accélération inflationniste menaçante pour le régime.
En un mot, si l’effort de sape européen sur de l’économie russe n’est pas tout et ne paie pas tout de suite, il n’est pas exclu qu’il finisse par contribuer à l’évanouissement d’un « effet Potemkine ».