Russie : faiblesse d’un dictateur
L’attentat perpétré par Daech à Moscou doit susciter compassion et solidarité : nous avons connu la même épreuve. Mais il souligne aussi la fragilité du régime Poutine. Par François Hollande
L’abominable attaque survenue dans une salle de spectacle en plein cœur de Moscou fait immédiatement songer à celle du 13 novembre au Bataclan ou sur les terrasses : même horreur, avec un nombre semblable de victimes ; mêmes assassins qui portent l’uniforme du terrorisme le plus barbare ; même mode opératoire, un commando déterminé à tuer le plus grand nombre d’innocents ; mêmes armes utilisées, des mitrailleuses et des bombes incendiaires ; même revendication, celle de l’État islamique.
Ce n’est pas la première fois que la Russie est prise pour cible par cette organisation, mais cela fait des années que de telles attaques ne s’étaient pas produites avec cette intensité et cette cruauté, si près de la capitale. L’État islamique a été en largement éradiqué en Irak et en Syrie. Il s’est depuis reconstitué en Afghanistan et sévit dans les républiques du Caucase, au point que plusieurs attentats y ont été déjoués et que plusieurs combattants de l’organisation terroriste ont été arrêtés ces dernières semaines.
Si la signature de cet acte horrible de vendredi ne fait guère de doute, Vladimir Poutine n’en a pas fait mention dans son allocution au lendemain de la tragédie. Et alors que l’Ukraine a, dès les premiers instants, nié tout lien avec l’horreur, le président russe a cherché à établir la responsabilité de Kiev en déclarant que les auteurs avaient été arrêtés alors qu’ils se dirigeaient vers l’Ukraine où « une fenêtre » avait été préparée pour qu’ils franchissent la frontière.
Je n’ai guère de doute : il se trouvera parmi les personnes interpellées des suspects, fussent-ils djihadistes, qui publiquement avoueront, sans doute sous la torture, qu’ils voulaient fuir en Ukraine et nieront leurs liens avec Daech. Car Poutine, alors même que ses services ont été prévenus par les Américains de l’imminence d’un attentat, voudra mettre cette atrocité au service de sa guerre contre l’Ukraine.
Il vient en effet de connaître une nouvelle humiliation. Après l’échec de l’invasion, et la perte de nombreux soldats russes lors des premiers mois de l’opération, après le soulèvement de Prigogine qui, aux yeux du monde, s’en était pris à sa personne, quitte à en payer le prix le plus élevé ; après la mort de Navalny, qui jusqu’à son dernier souffle défiait son autorité, Poutine, dont la réputation s’était construite sur la sécurité qu’il était supposé garantir à son propre peuple, est douloureusement mis en cause par cet attentat.
Non seulement ses services secrets ne l’ont pas déjoué, mais les agresseurs ont pu quitter les lieux de leur forfait sans être arrêtés et son service de renseignement, le FSB, celui-là même dont il vient et dont il a fait le cœur de son système, s’est révélé gravement défaillant.
L’accablement qui vient de s’abattre sur la population russe et dont nous sommes d’autant plus solidaires que le peuple français a connu la même sidération, ne manquera pas de mettre à jour les défaillances de la protection qui lui est due de la part de son dirigeant. Rien de pire pour les dictateurs que d’êtres incapables d’assurer l’ordre.
C’est une nouvelle brèche qui s’ouvre et la guerre en Ukraine est sans lien avec l’offensive de l’État islamique. Mais celle-ci vient s’ajouter à celle-là. Le régime de Poutine veut, à chaque instant, exhiber sa force par l’agression, l’élimination, la menace, la propagande, y compris en affichant un résultat électoral totalement fabriqué. Il ne tient que s’il fait peur et impressionne. Il est supposé invulnérable. Aussi, dès qu’il est contenu dans ses manœuvres, empêché dans ses actes hostiles, et touché dans ce qui est supposé son sanctuaire, il est bien plus blessé qu’il y paraît. Car sa fragilité relativise la terreur qu’il est supposé inspirer.
Poutine sait parfaitement qu’au-delà que la compassion que tous les pays du monde lui ont témoigné après ce terrible drame et des condamnations unanimes de leurs commanditaires, il doit désormais faire face à un front intérieur qui mobilisera durablement ses ressources, car la lutte contre cette résurgence du terrorisme islamiste prendra du temps. Il sera tenté pour répondre à l’angoisse de son propre peuple de multiplier les opérations en Ukraine et de dénoncer des complots imaginaires venant du camp des démocraties. Nous devons nous y préparer.
D’ici là, marquons notre affection au peuple russe, faisons-le parce que nous avons été confrontés nous aussi à une barbarie comparable – je pense aux familles, ici, qui voyant les images de Moscou ont revécu celles de Paris. Et parce que nous mesurons de que ce peuple subit des décennies en Russie sans avoir jamais pu décider de son propre destin.