Russie : le peuple vote, Poutine décide

par Emmanuel Tugny |  publié le 18/03/2024

Les isoloirs de la Fédération de Russie ont parlé. Toute la question est de savoir s’ils l’ont fait pour ne rien dire

Une femme avec un cadre portant l'inscription "J'ai choisi un président" devant une peinture murale représentant le président russe Vladimir Poutine lors de l'élection présidentielle russe dans un bureau de vote - Photo STRINGER / AFP

Avec quelque 87,5 % des suffrages exprimés, le candidat Poutine réalise un score infiniment supérieur à ceux de 2018 (77,5 %), 2012 (63 %¨), 2004 (71,9 %) ou 2000 (53,5 %) et à celui de son hochet Medvedev en 2008 (71,2 %), scores qui témoignaient sans aucun doute de l’incontestable et immuable popularité du président russe, notamment auprès de l’électorat populaire et légitimiste, sans atteindre aux étranges proportions de celui d’hier…

La participation de 73,3 % des 112 millions d’électeurs russes assure en outre en apparence la pleine légitimité de ce succès plébiscitaire.

Aux yeux de tous les observateurs (y compris de ceux du « sud global » : Amérique latine, Afrique, qui ne se font pas faute d’évoquer une logique « soviétique », parfois contre leurs gouvernants laudateurs -Nicaragua, Venezuela -…), ce résultat n’atteste nul regain de popularité d’un régime entré en économie et en gestion des affaires intérieures de guerre. 

Il ne doit pas être lu comme le produit d’une adhésion réelle, mais comme l’ostentation inquiète par le régime de la nécessité impérieuse de cette adhésion. Le score de Poutine, obtenu à coups de trucages pas même offusqués, de manœuvres et de brutalités (74 interpellations) signalées par la plupart des chancelleries européennes et par tous les experts, n’est rien moins qu’un produit démocratique : il est un acte de communication politique. 

Le pouvoir s’était, préalablement au scrutin, débarrassé de tout ce qui, même timidement, s’y opposait à lui (Dountsova, Nadjedine) pour n’accorder de place qu’à trois figures falotes et également poutinistes. 

Il avait mis fin en urgence à la nuisance Navalny. Il entend à l’évidence assurer à ceux qui l’espèrent –notamment à la France, à qui il s’est adressé, comminatoire, à peine la phase électorale close- ou qui le redoutent -Iran, Niger, Corée du Nord…- que nul effondrement intérieur ne menace son élan guerrier.

Le vote, dont on rappelle qu’il concernait un territoire couvrant onze fuseaux horaires, a certes été émaillé d’actes de protestations – dont tels ressemblent à des montages visant à discréditer l’opposition -, destruction d’urnes, files d’attente suggérant une mobilisation des “navalnystes” appelée de ses vœux par Ioulia Navalnaïa, mais il n’a pas été l’occasion de ces manifestations massives qui avaient précédé celle de 2012. 

Le patriotisme russe et la radicalisation d’un régime qui ne peut se permettre ni contestation interne ni signe extérieur de faiblesse devant un occident divisé, contesté par ses opinions ou en période électorale, expliquent sans doute le quasi sans-faute orchestré du satrape de Moscou.

Il s’en est félicité, surjouant la magnanimité impériale, en n’écartant pas l’idée d’une trêve olympique -en tout état de cause propice à son réarmement et à une attente économe de l’élection de Trump- et en évoquant, au sujet de Navalny, un “malheureux incident”. 

Il a aussi cru bon devoir rappeler en creux à son peuple que l’élection d’hier valait avertissement aux pacifistes, aux défaitistes et à ceux qui voudraient contrarier la “consolidation” de la société russe, c’est-à-dire, à bien entendre, au sens démocratique du terme, “s’opposer”… 

Emmanuel Tugny

Journaliste étranger et diplomatie