Un « Brexit Africain »
Avec la décision conjointe des trois pays du Sahel Mali, Burkina Faso et Niger de quitter la Cédéao s’esquisse en Afrique l’Ouest un « Sahexit » qui pourrait avoir de fortes conséquences sur l’Afrique tout entière…
Annoncée le dimanche 28 janvier, la volonté des trois pays, Mali, Burkina et Niger de rompre avec la Cédéao (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest) a surpris. Les termes employés – au nom de la « souveraineté nationale » menacée par « l’ingérence néocoloniale » – étaient forts. Ils visaient ainsi non seulement la Cédéao, mais la France, que les trois États du Sahel considèrent comme à la manœuvre derrière elle.
La Cédéao, officiellement créée le 28 mai 1975, dans la perspective d’une intégration économique régionale visant la libre mobilité des marchandises et des hommes, comporte aujourd’hui quinze membres. Soit l’ensemble des pays subsahariens d’Afrique de l’Ouest.
Malgré ses progrès indéniables en termes d’intégration, elle s’est toutefois rapidement heurtée à de nombreuses tensions entre pays membres ou au sein même de certains d’entre eux. On peut mettre ainsi à son actif plusieurs interventions efficaces, parfois militaires. L’organisation n’a ainsi cessé, depuis une trentaine d’années, de vivre des conflits.
Les trois coups d’État intervenus successivement au Mali, en Guinée puis au Burkina Faso, n’ont été qu’un nouvel épisode. Celui au Niger est venu parachever une grave perte d’influence, dès lors qu’y furent brandies non seulement de lourdes sanctions économiques et financières comme précédemment, mais aussi avec le soutien ostensible de Paris, la menace peu crédible d’une intervention militaire.
Derrière la décision des trois États sahéliens, on doit ainsi lire, une double volonté, celle de rompre avec une organisation jugée trop proche des visées occidentales, et de rechercher d’autres alliances , mais aussi celle de se mettre à l’abri de la demande pressante de la Cédéao et des puissances occidentales de revenir à un ordre institutionnel normal en rendant rapidement le pouvoir à des autorités civiles démocratiquement élues.
Les quelque 70 millions de personnes concernées dans les trois pays (sur 413 millions pour l’ensemble de la communauté), qui pourraient être privés de leur passeport unique et toujours soumis à de lourdes sanctions, pourraient donc se sentir désormais les otages de cette décision, en quelque sorte enfermés dans leur île sahélienne.
Pour bon nombre de Maliens, Burkinabés ou Nigériens, notamment dans les campagnes, il n’est pas certain que cela change grand-chose. En revanche, l’émoi est déjà vif parmi les milieux d’affaires, les universitaires ou les diasporas, plus accoutumés à des déplacements fréquents.
Au-delà du renchérissement des droits de douane qu’elle va introduire, il est toutefois encore difficile de préjuger de l’impact économique réel sur le Sahel de cette coupure au sein de la Cédéao, les échanges intrarégionaux étant en effet assez limités.
D’autant que la nouvelle Alliance des États du Sahel (AES) entre les trois pays ne peut se réduire à une alliance militaire. Elle contient en germe une coopération allant bien au-delà sur le plan économique et politique. À l’évidence, outre la Russie et la Chine, la Turquie, l’Iran ou le Maroc sont déjà sur les rangs.
Le départ des trois pays du Sahel déclenche ainsi une réaction en chaîne dont il est difficile à ce stade de deviner tous les effets non seulement en Afrique de l’Ouest, mais dans tout le continent du fait des perspectives de meilleure intégration économique et financière qu’entretient l’Union Africaine.
En ce sens, et toutes proportions gardées, le « Sahexit » au sein de la Cédéao, s’apparente, dans ses effets.. au Brexit au sein de l’Europe.