Sainte-Soline : flics, mensonges et vidéos

publié le 27/03/2023

En temps de guerre, dit-on, la première victime, c’est la vérité. Certes, nous ne sommes pas en temps de guerre sur le territoire national, fort heureusement. Mais dans cette période d’affrontements sociaux et écologiques, la vérité a succombé tout aussi vite.

Sainte Soline - Photo Frederic Petry / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Samedi après-midi, Gérald Darmanin livre en direct un premier bilan des heurts de Sainte-Soline, où quelques milliers de manifestants sont venus protester contre la création de ces réserves d’eau à ciel ouvert que leurs contempteurs appellent des « bassines ». Le ministre dénombre « 37 blessés chez les gendarmes et 7 du côté des manifestants ».

En fait, tout le monde a déjà compris que la violence croisée des affrontements aboutira à un décompte nettement supérieur. Mais la disparité des deux chiffres – 37 contre 7 – impose un récit : si les blessés sont du côté des forces de l’ordre, c’est bien que la violence vient des manifestants.

Le lendemain dimanche, sans surprise, le tableau change : les organisateurs dénombrent 200 blessés chez les manifestants et non 7. Chiffre exagéré ? Peut-être, mais forcément supérieur à celui donné par le ministre. Il apparaît de surcroît que trois personnes (un gendarme et deux manifestants) ont été grièvement blessées. Mais Darmanin, pendant quelques heures, a imposé son récit biaisé sur les chaînes d’info.

Samedi, toujours, à la même heure, une porte-parole du Soulèvement de la Terre, l’une des organisations qui appelaient à manifester, impute à la seule gendarmerie, par sa présence massive et ses réactions brutales, la violence des combats autour de la bassine.

Malheureusement pour elle, pendant qu’elle parle, la chaîne diffuse une vidéo où l’on voit des manifestants en noir ou en bleu – le double uniforme adopté par les militants – s’avancer en colonnes ordonnées cers les forces de l’ordre, puis lancer pierres et cocktails molotov sur les barrages, tandis que plusieurs cars de gendarmerie commencent à brûler.

Démentie à la seconde où elle parle, la jeune femme maintient sans sourciller sa thèse : les gendarmes immobiles sont les coupables ; ceux qui les bombardent sont les victimes.

Qu’il s’agisse du mouvement contre la réforme des retraites ou des protestations de Sainte-Soline, de tels dénis de réalité entraînent une dramatique régression : fondées sur le mensonge (par omission, en tout cas), deux discours publics symétriques occupent la scène médiatique.

Le pouvoir, Gérald Darmanin en tête, justifie sa posture par la violence des manifestants, passant sous silence l’usage – contesté – les lanceurs de balles de défense (LBD) et le recours aux tactiques de nasse, minimisant les fautes policières, pourtant commises sous l’œil des caméras.

L’opposition radicale, Jean-Luc Mélenchon au premier rang, fustige les seules « violences policières », comme si toute action de maintien de l’ordre était illégitime, pour justifier implicitement les attaques contre les forces de l’ordre.

Face à ces deux caricatures de discours, l’opinion doit faire son choix. Par le truchement des « biais de confirmation » qui altèrent le jugement (on ne voit que ce qu’on veut voir), les uns incriminent le pouvoir, les autres les manifestants.

Quant aux citoyens de bonne foi, ils en sont réduits à chercher leur chemin dans le maquis cacophonique des comptes-rendus médiatiques, qui se bornent courageusement à renvoyer dos à dos des bilans chiffrés contradictoires et à diffuser des images accréditant alternativement les deux thèses.

Pour être juste, certains journaux, certaines chaînes, s’efforcent de remonter aux sources, de tenir le chiffre des blessés de source médicales fiables, ou bien d’évaluer de manière indépendante l’importance des rassemblements. Mais ces voix rationnelles, comme souvent en période de tension, sont couvertes par le feu croisé des invectives, alors qu’une double vérité émerge lentement au milieu d’un brouillard de propagande.

C’est un fait qu’une partie des militants écologistes tablent sur la violence pour arrêter le projet contesté, comme ils l’ont fait à Notre-Dame des Landes ; le gouvernement, quoique fondé à s’opposer à des manifestants violents, tend à couvrir les fautes policières qui émaillent les actions de maintien de l’ordre et qui appellent une plus grande rectitude dans le fonctionnement policier.

Mais ce constat se perd dans le tumulte. Nous ne sommes pas en guerre, répétons-le. Mais un tel étouffement de la vérité, il faut le craindre, nous rapproche d’une atmosphère de guerre civile froide.