Salvador Allende, martyr du réformisme

par LeJournal |  publié le 11/09/2023

Il y a cinquante ans jour pour jour, le 11 septembre 1973, le président chilien était renversé par un coup d’État militaire. Hommage à un juste de la gauche, qui reste dans la mémoire de tous les progressistes

Photo Orlando Lagos

Ce fut pour nous, jeunes engagés à gauche dans les années post-68, un choc traumatique et un chagrin immense : Salvador Allende, président de l’Unité populaire chilienne, démocratiquement élu, légaliste et réformiste, mourait dans son palais de la Moneda bombardé par l’aviation chilienne et envahi par la soldatesque.

On le sait aujourd’hui : figure débonnaire et paternelle, Allende était tout sauf pleutre ; il avait refusé de se rendre aux militaires factieux et avait préféré se suicider d’un coup de mitraillette, plutôt que de céder à la force.

Aussitôt, à la suite de ce coup de force d’une violence hideuse, la répression la plus cruelle s’était déchaînée, menée par les militaires putschistes et encouragée par le gouvernement américain : tortures à grande échelle, exécutions sommaires, arrestations, déportations, censure et mise en place d’un régime sanglant et dictatorial dirigé par le général Pinochet, nommé peu avant chef de l’armée par un Allende trop confiant. 

Le leader socialiste, vieux routier de la gauche chilienne, chef du PS, avait été élu trois ans plus tôt dans le respect scrupuleux de la constitution. Deux candidats principaux contre lui, un centriste et un conservateur : il avait remporté une victoire incontestable, mais courte et fragile.

D’autant que le Parlement restait dominé par l’opposition, ce qui l’obligeait à gouverner par décret. Son programme – 40 propositions – était à la fois radical et réformiste : nationalisation des banques et de l’industrie du cuivre, principale ressource extérieure d’un Chili aux inégalités criantes, mais aussi respect des libertés publiques et politique économique non marxiste, mais keynésienne.

C’en était trop pour la bourgeoisie chilienne, aussitôt entrée en dissidence, retirant son argent du pays, appelant au secours les militaires, déchaînant une presse conservatrice liée aux puissances d’argent, comptant sur les États-Unis mettre fin à « l’expérience chilienne ». C’en était trop, surtout, pour l’administration américaine dirigée par le couple Nixon-Kissinger.

La chose est aujourd’hui documentée : dès le premier jour du mandat socialiste, Nixon, obsédé par « la menace communiste » au Chili, commande deux plans destinés à renverser Allende, l’un par l’action économique et politique (déstabilisation financière, aide matérielle massive aux opposants, grèves subventionnées, etc.), l’autre par la préparation d’un putsch militaire fomenté par la CIA, selon la méthode éprouvée dans de nombreux pays d’Amérique latine depuis un siècle.

Allende révolutionnaire ? Oui et non. Il s’était officiellement fixé pour but de faire du Chili un des premiers exemples d’une société socialiste dans la liberté. Mais il tenait tout autant à rester dans la légalité et à respecter scrupuleusement la constitution chilienne. Mécontents, les Chiliens pouvaient le renverser par les urnes aux échéances prévues. Las ! L’Unité populaire gagnait des voix à chaque scrutin…

Son programme, à bien y regarder, n’était guère plus radical que celui de l’Union de la Gauche en France, mis en œuvre après 1981 : nationalisations, mesures sociales, avancées démocratiques. Peu de choses à voir avec une « dictature marxiste », même si Allende entretenait des liens étroits avec Fidel Castro.

Ses erreurs : une certaine naïveté envers l’armée, qu’il jugeait loyaliste, des dépenses excessives, qui alimentèrent l’inflation (jusqu’à 300% en 1973), une impuissance face à la surenchère radicale menée par l’extrême-gauche, notamment le MIR, parti révolutionnaire favorable à la lutte armée, et même par son propre parti qui prônait sans cesse la radicalisation des réformes.

Mais tout cela pouvait être corrigé, maîtrisé avec le temps, en rassurant les classes moyennes tout en conservant le soutien des classes populaires. C’est la grande panique d’une bourgeoisie sectaire et avide, alliée à la cynique détermination du couple Nixon-Kissinger, décidé à maintenir à tout prix l’hégémonie du nord yankee sur le sud, qui a prononcé sa chute, ouvrant une longue période de dictature militaire sanglante et inégalitaire.

Parmi les figures de l’histoire chilienne, Allende reste l’une des plus populaires. Et au sein de la social-démocratie mondiale, un héros tragique et révéré.

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