Nayib Bukele, profession dictateur
Au Salvador règne un jeune président extravagant qui se décrit lui-même comme un… « dictateur cool ». Portrait
L’Amérique latine est habituée aux personnages hauts en couleur. Au Salvador, le président Nayib Bukele est un étrange mélange entre le caractériel Donald Trump et le très autoritaire Augusto Pinochet, mâtiné du look d’un ado de banlieue. Élu à 37 ans dès le premier tour en 2019, il se balade la plupart du temps sans cravate, casquette à l’envers et iPhone à la main.
Libéral en économie, il estime qu’il n’y a pas besoin de redistribuer les richesses dès lors qu’on met fin à la corruption. Conservateur pur jus, il s’oppose à l’avortement et aux droits des homosexuels. À peine élu, pour asseoir sa popularité, il fait envoyer l’équivalent de 300 dollars d’aide alimentaire à… tous les habitants de tous les villages du pays. La crise covid est gérée de façon pragmatique avec une campagne de vaccination qui fait office de modèle dans la région. Il se permet même d’offrir son aide à l’un de ses voisins, le Honduras.
Résultat : celui qui se décrit comme «dictateur cool» sur Twitter, version moderne du « dictateur éclairé », est un président très populaire dans son pays.
Sur les réseaux sociaux, qu’il exploite à foison, il cumule plus de dix millions d’abonnés auxquels il partage des vidéos à sa gloire : voyages, rencontres, inaugurations, moments en famille. Toujours habillé comme un jeune trentenaire négligé, il entend ne jamais se départir de son image iconoclaste, un art chez lui. Il a commencé sa carrière dans l’agence de publicité familiale où il a appris tous les codes. Président « millenium » et « nouveau Macron » pour la presse sud-américaine, entre 2019 et 2022, rien jusque là ne perturbait son horizon.
Coup d’arrêt en mars 2022. La criminalité explose et les critiques pleuvent : 500 meurtres par an pour 6 millions d’habitants, 87 assassinats recensés en un weekend, un record ! Il prend les devants et prononce « l’État d’exception ». S’inspirant de la brutalité de Pinochet, il fait arrêter et incarcérer des milliers de Salvadoriens sur la base du moindre soupçon. Il suffit qu’un voisin suspecte un autre d’être membre des gangs pour le faire arrêter.
Chasses à l’homme, expéditions policières punitives, la répression est impitoyable, mais efficace. Les groupes armés pandillas et maras sont désormais inoffensifs. Le Salvador, qui comptait un des taux de criminalité les plus élevés du monde, est devenu un modèle du genre.
Le « dictateur cool » en profite pour accroître son pouvoir. Puisque personne avant lui n’avait jusque-là réussi à endiguer la criminalité, il prend des mesures autoritaires, approuvées par une population lassée de la corruption. Il remplace les juges de la Cour suprême et le procureur général par des fidèles, met les magistrats de plus de 60 ans à la retraite, augmente la pression sur les journalistes et enquêteurs en les faisant espionner par ses services, et réduit le nombre de parlementaires à 84 pour centraliser le pouvoir. Rien moins !
Pire, Nayib Bukele applique la « loi bâillon » qui punit et emprisonne quiconque diffuse des informations jugées «anxiogènes » dans l’opinion. Le virage liberticide est pris. Pour afficher sa modernité et son originalité, il fait aussi du bitcoin et des cryptomonnaies la deuxième devise du pays après le dollar. Un échec jusqu’à présent même si Bukele ne désespère pas d’attirer des investisseurs et génies de la tech pour améliorer l’image de son pays.
Le « roi philosophe » veut durer. La constitution interdisait qu’il se présente à un deuxième mandat, mais il a pu compter sur la complaisance de ses amis juges qui l’ont fait modifier. Il démissionnera en décembre prochain pour reprendre sa place en 2024 au cours d’une élection qu’il sait gagnée d’avance.
Epuisés par des années de violence, de corruption et de gabegie , les Salvadoriens semblent prêts à accepter tout, même un dictateur absolu autoproclamé « roi philosophe », pourvu qu’ils aient… la paix. A quel prix !