« Scandale Picasso »: ne pas jeter le génie avec l’eau du bain

par Sandrine Treiner |  publié le 08/05/2023

Signe des temps, à l’occasion de ce cinquantième anniversaire de la mort de Picasso, la vie de l’artiste nourrit davantage les conversations que son œuvre

Espagne, province de Biscaye, reproduction de Guernica sur le chemin de Compostelle- Photo by GUIZIOU Franck / hemis.fr

C’est la marque de la nouveauté que de réinventer ce qui a déjà existé : on avait tourné le dos à la biographie, elle revient au galop. Entre l’attention à la part de l’homme et celle portée à la part de l’œuvre, chacun prend position, clan contre clan. En l’espèce, concernant Picasso, d’un côté, une abondance exceptionnelle d’expositions et d’évènements – près d’une cinquantaine en France sans compter celles qui se déroulent aussi bien en Espagne qu’aux États-Unis –  et, de l’autre, des dénonciations pour fait de misogynie patentée, de relations de domination et d’appropriation culturelle.

Postulons que les générations anciennes iront voir les expositions tandis que certains, parmi les plus jeunes, leur préfèreront le podcast à succès de Julie Beauzac, au titre délicat, « Vénus s’épilait-elle la chatte ? » qui vulgarise l’art d’un point de vue féministe.  

Ou applaudiront les propos en 2020 de l’artiste scandinave Olafur Eliasson  « Picasso abusait des femmes comme un Harvey Weinstein de son époque ». Querelle d’artistes ? Pas seulement. Récemment, un intervenant dans un collège parisien s’est vu interrompre par le cri indigné d’une adolescente : « Mais monsieur… Picasso a violé des dizaines de femmes ! » Pas moins.

Au-delà du bruit et des outrances de l’époque, Georges-Marc Benamou, auteur d’un film, « Aux arts et cætera – L’affaire Picasso », diffusé récemment sur France 5, souligne : « j’ai travaillé en journaliste. Picasso ne s’est rendu coupable d’aucun crime, même s’il ne fait aucun doute qu’il se comportait comme un macho, dévoreur de femmes et auteur de propos peu glorieux sur ses compagnes ».

Contre-enquête. Grâce à la directrice du Musée Picasso à Paris, Cécile Debray, la fine fleur des historiens de l’art et de la culture ont accepté toute la saison de débattre des sujets qui fâchent. Histoire d’ouvrir un espace entre les positions antagonistes et d’ajouter de la réflexion à la connaissance. Le rôle du musée est aussi de permettre la transmission d’une œuvre d’une époque à l’autre.

Crier aujourd’hui au scandale à propos de la vie privée des artistes d’hier, c’est aussi faire l’impasse sur les scandales autrement plus politiques que sont les révolutions artistiques. Picasso, en peinture, en est l’incarnation au vingtième siècle.

Par sa violence dans la représentation du monde, la dénonciation de la barbarie franquiste, la déconstruction des règles implicites dans l’art de peindre, l’artiste a été autrement plus contestataire de son temps que ceux d’aujourd’hui qui l’attaquent a posteriori.

C’est la marque de ce que l’on avait coutume d’appeler… le génie. Voilà ce sur quoi nous ne sommes plus d’accord. À ne voir l’artiste qu’à travers le prisme du jugement moral, on déboulonne la statue en oubliant son socle.

Mort Picasso ? Le dieu n’est plus. Reste le génie.  

Sandrine Treiner

Editorialiste culture