Sciences Po ou Sciences Woke ?
L’agitation étudiante est courante en France et ne mériterait guère alarme si les manifestations en cours, à Sciences Po notamment, n’ouvraient pas une phase nouvelle.
Une minorité étudiante manifeste pour les Palestiniens ? Chose banale depuis des décennies, à chaque fois qu’un nouveau conflit embrase le Proche-Orient. Certains occupent des locaux ou campent à l’entrée de Sciences Po ? C’est irrégulier, mais quel ancien étudiant engagé pour une cause ou pour une autre n’a pas recouru, au moins une fois, à ce moyen expéditif, mais pacifique, pour se faire entendre ?
Depuis les années 1950, l’Université française, et même les grandes écoles, en ont connu bien d’autres, au fil des générations militantes qui se sont succédé dans les amphis, à propos de cette cause et de bien d’autres. Et si la poursuite indéfinie de la guerre de Gaza, avec son cortège d’horreurs, suscite une émotion compréhensible dans une partie de la jeunesse, comme dans le pays, qui peut s’en étonner ? L’ennui, avec les opérations organisées à Sciences Po et autres lieux, tient moins aux méthodes employées – plutôt courantes en milieu étudiant – qu’à ses connexions politiques et au fond des discours tenus.
Il s’agit d’abord d’une petite minorité dont on peut légitimement se demander si sa proximité avec la France insoumise, qui dépêche à longueur de journée ses orateurs soutenir le mouvement, ne procède pas plus d’une campagne militante suscitée de l’extérieur que de l’indignation spontanée des étudiants de Sciences Po.
Ses mots d’ordre, ensuite, dépassent très largement une simple demande de cessez-le-feu et de reconnaissance du droit des Palestiniens à un État. À chaque fois le slogan « free Palestine from the river to the sea » revient en fond sonore ; à chaque fois, sous couvert de dénonciation du « colonialisme », c’est l’existence même d’Israël qui est mise en cause.
À chaque fois, l’absence de toute référence aux massacres du 7 octobre ou au sort des otages israéliens dénote une sympathie, non seulement pour les Palestiniens en général, mais aussi pour les actions terroristes du Hamas ; à chaque fois, enfin, l’hostilité envers la politique Netanyahou se double d’une dénonciation plus ou moins oblique des étudiants juifs présents sur le campus, ce qui confine, chacun le voit bien, à une forme d’antisémitisme.
Communautés
Face à ces débordements douteux, la réaction de Sciences Po ne laisse pas d’étonner. On apprend ainsi dans un communiqué de la direction qu’une prochaine réunion rassemblera « toutes les communautés » présentes à l’école. Qu’est-ce à dire ? Il y aurait donc à Sciences Po, institution de la République, non seulement des classes, des sections, des années, des associations militantes ou des groupes politiques constitués, mais aussi des communautés ethniques distinctes qui reçoivent, dans un communiqué de la direction, une reconnaissance officielle ?
Les responsables de l’école auraient donc adopté, très ouvertement, les catégories politiques et intellectuelles prônées par la minorité décoloniale qui s’agite depuis des années au sein de l’établissement ? Inquiétante métamorphose. Sciences Po ou Sciences Woke ?
La même direction accepte aussi de débattre des partenariats de l’école avec des institutions extérieures accusées de « soutenir Israël ». Sciences Po s’est-elle inscrite, sans crier gare, à l’association BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions), qui exige le boycott général des produits venus d’Israël ? Auquel cas cette novation aurait tout de même mérité débat public et, peut-être (on ose à peine le dire) avis du ministère.
Dernière interrogation, symétrique, celle-là. En décidant la convocation devant la police de plusieurs élus ou responsables de LFI accusés « d’apologie du terrorisme », le gouvernement a-t-il décidé de concourir avec zèle à la campagne montée par LFI ? La parole politique est libre en France. Si les déclarations de LFI sont outrancières, contestables, scandaleuses parfois, sont-elles réellement justiciables d’une action devant les tribunaux ?
En interdisant ses réunions, en lançant ses procédures judiciaires, le gouvernement pose sur la tête de Jean-Luc Mélenchon une couronne de martyr de la liberté d’expression qui sert directement sa campagne. Comment ne pas rapprocher ce zèle étrange des difficultés sondagières de Valérie Hayer, qui verrait d’un bon œil Jean-Luc Mélenchon reprendre des voix à la liste socialiste qui menace maintenant de passer devant celle de Renaissance ?