Sécurité : Boeing en chute libre
Porte arrachée, roue perdue, cockpit soudain aveugle…les accidents des 777 se multiplient. Pour cause d’économies ?
Le 16 mars, un appareil Boeing 737 d’United Airlines perd un panneau du fuselage et doit se poser en catastrophe. Un autre, le cockpit aveuglé est contraint à la même manœuvre d’urgence. Au début du mois, un Boeing 777 perd une roue au décollage, Un 737 brise son train d’atterrissage. La suite d’une longue série qui avait conduit David Calhoun, le PDG de Boeing à faire amende honorable devant ses cadres le 9 janvier dernier. « Nous allons aborder cela en reconnaissant nos erreurs, a-t-il dit avant d’admettre que les compagnies aériennes, ses clientes, étaient “profondément ébranlées.” Le 5 du même mois, un 737 d’Alaska Airlines avait perdu une porte arrachée, à 4900 m d’altitude peu après le décollage. Le même type d’avion avait connu deux catastrophes majeures en 2018, 189 morts en Indonésie, en 2019, 157 en Éthiopie.
Que se passe-t-il chez le premier constructeur aéronautique du monde avec 75,7 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2023, talonné par Airbus, 67,95 milliards de dollars ? La firme qui a acquis en partie de sa notoriété avec le bombardier B17, la forteresse volante qui a ravagé les villes allemandes au cours de la Seconde Guerre mondiale, qui a produit des avions mythiques de l’aéronautique civile comme le 707 ou l’énorme 747, semble comme dévoré de l’intérieur par un mal terrible. Comme si, le groupe industriel paraissait incapable de fabriquer des avions sans défauts qui mettent en péril la vie de leurs passagers.
L’action baisse de 30 %
Les conséquences ne se font pas attendre. United Airlines, l’un des plus gros clients de l’avionneur retire le 737 Max 10 de ses programmes d’achat. Et les Max 9 sont cloués au sol depuis les incidents qui ont affecté ce modèle, lui, en exploitation. La compagnie est furieuse son action baisse sur les marchés financiers. Celle de Boeing a perdu 30 % de sa valeur depuis le début de l’année. Celle de ses sous-traitants chute. Un pan entier du secteur aéronautique américain paraît tout à coup vulnérable. Un audit des autorités fédérales de l’aviation civile a alerté tout le monde.
D’autant que Boeing a tout fait pour dissimuler les problèmes techniques qui mettaient en cause la sécurité de ses appareils depuis 2018. Les conclusions du rapport de la Federal Aviation Administration, après un audit de six semaines chez Boeing et Spirit AeroSystems sa filiale, sont publiées par le “New York Times” au début de l’année.
Le document révèle qu’ont été identifiés « des problèmes de non-conformité dans le contrôle de processus de fabrication, la manipulation et le stockage des pièces, ainsi que le contrôle des produits.” Et elle exige une remise à niveau de “la culture de la sécurité de Boeing” . Ce rapport calamiteux pointe un mal profond. Pour des raisons d’économie, il semble bien que le constructeur ait choisi de négliger la sécurité. La confiance est trahie. Les autorités fédérales et les médias ne vont plus lâcher l’avionneur qui risque des procès au pénal avec d’énormes indemnités pour avoir mis en danger les passagers de ses clients. Pourquoi de telles négligences ? Peut-être parce que dans cette entreprise la culture des ingénieurs a été reléguée au second plan, au profit de celle des financiers.
Économies de coûts
David Calhoun, à la tête de Boeing depuis 2019 est diplômé en comptabilité. Avant d’entrer chez l’avionneur, il présidait Blackstone, une société devenue un des leaders mondiaux du capital-investissement. Rien à voir avec l’aéronautique. C’est un disciple de Jack Welch, ex-président de General Electric, décédé en 2020. Une star du patronat outre-Atlantique. Ami de Trump, il avait gagné le surnom de “Neutron Jack”, grâce à sa capacité à garder les infrastructures tout en éliminant le personnel… comme la bombe à neutrons. Il licenciera plus de 100 000 salariés. Au bout du compte, le conglomérat sera démantelé. L’actuel PDG du constructeur aéronautique, suivant les préceptes de son mentor, multiplie les économies de coût.
Par exemple, pour résister à la concurrence de l’Airbus A 320, sans investissement trop important, il décide de moderniser le 737 plutôt que de se lancer dans la conception d’un nouveau modèle. Résultat, l’avion est doté de moteurs plus gros à l’avant qui déséquilibrent l’appareil. Et il ajoute un logiciel pour garantir sa stabilité. Il assure, pour mieux vendre aux compagnies , que les pilotes de ses avions n’ont pas besoin de formation longue étant donnée la qualité des dispositifs de pilotage.
Les usines sont délocalisées dans des États où la syndicalisation n’existe pas et où il n’a pas à appliquer les augmentations dont bénéficient les employés du site historique de Seattle. Il externalise la fabrication de fuselage à la filiale Spirit AeroSystems créée par Boeing pour l’occasion, où les contrôles de sécurité sont défaillants. Cette entreprise est aujourd’hui en perdition. L’avionneur envisage de la racheter.
Quel désastre et quelle leçon ! Un groupe industriel qui néglige son cœur de métier, en l’occurrence la technologie aéronautique, au profit d’une gestion financière destructrice se suicide.