Sécurité : de la violence au quotidien aux nuits d’émeutes

publié le 19/07/2023

Que faire face à la montée des violences, la multiplication des rixes mortelles, les nuits d’émeutes et de pillages? Pleurer sur la « décivilisation »? Ou agir. Patrice Bergougnoux, ancien Directeur Général de la Police, donne la méthode

 

Patrice Bergougnoux, ex-Directeur Général de la police nationale (DGPN), en mai 2000, à Paris -AFP PHOTO ERIC FEFERBERG

La montée des violences, la multiplication des rixes mortelles, les nuits d’émeutes et de pillages de ces derniers jours interpellent tous les responsables politiques et particulièrement le gouvernement.

Ces phénomènes criminels constituent la principale source d’inquiétude de nos compatriotes qu’ils habitent en ville ou dans un village, en zone urbaine ou en zone rurale. Tous en effet sont concernés par l’irruption brutale de la violence, voire de l’ultraviolence, dans leur vie quotidienne.

Aujourd’hui cependant, aucune vision d’ensemble ne se dégage pour répondre à ce fléau. Les données sont là, la désertion des quartiers populaires par les services publics, et le retrait des services de police constituent une erreur stratégique déjà payée au prix fort avec les attentats terroristes commis sur notre sol dans la période récente. N’oublions pas que ces actes barbares s’ils ont été organisés à l’extérieur (en Belgique) ont été commis à l’intérieur de nos frontières, en majorité par de jeunes Français qui ont grandi dans nos cités.

Les quartiers sont investis par des groupes criminels qui sanctuarisent leur territoire et empêchent toute intrusion

Nous continuons à en payer le prix avec l’émergence de bandes organisées qui se manifestent régulièrement par des actions ultraviolentes que nous ne parvenons pas à juguler et encore moins à anticiper, faute d’avoir suffisamment investi dans ce secteur.

 La lutte contre la criminalité dans les cités nécessite la mise en oeuvre d’une politique de renseignement humain, préalable indispensable pour la bonne réussite des enquêtes de la police judiciaire. Il faut savoir écouter, être au contact des résidents qui subissent les contraintes quotidiennes et les intimidations imposées par les dealers. En effet, les quartiers sont investis par des groupes criminels qui sanctuarisent leur territoire et empêchent toute intrusion et tout regard extérieur sur leurs activités si besoin en « caillassant » les véhicules de police et de secours.

Des bandes sédentarisées sont ensuite apparues. Leur première préoccupation est de tenir la police à distance.

Les zones de sécurité prioritaires (ZSP) mises en place en septembre 2012 répondaient à cet objectif. La méthode consistait à mobiliser sous l’autorité du préfet et du procureur de la République tous les partenaires implantés sur le territoire à surveiller. Elles s’appuyaient sur une conception innovante de l’action publique. Au fil du temps, il semble que la routine se soit installée là où une vigilance permanente et une adaptation constante des dispositifs sont indispensables pour éradiquer un phénomène criminel profondément enkysté.

Ainsi pour casser les bandes, convient-il de dédier des structures opérationnelles spécifiques à cet objectif.

Au début des années 90, les bandes étaient le plus souvent itinérantes, à l’image de celles qui sévissaient sur le réseau RER francilien. Elles ont été réduites grâce à l’action conjuguée de la préfecture de police et d’une brigade spécialisée de la PAF créée par le gouvernement (M. Rocard Premier ministre et P. Joxe ministre de l’Intérieur) et forte de 500 fonctionnaires recrutés à l’effet de mettre un terme à l’activité des bandes sur le réseau ferré d’Île-de-France.

Aux États-Unis qui ont connu de graves émeutes au début des années 90, les autorités ont pris très au sérieux cette menace intérieure

Des bandes sédentarisées sont ensuite apparues, leur « territoire » devenant leur principal signe de reconnaissance, et son contrôle, le principal critère d’identification. Leur première préoccupation était ainsi de tenir la police à distance.

Aux États-Unis qui ont connus de graves émeutes au début des années 90, les autorités ont pris très au sérieux cette menace intérieure. Le FBI a même fait une exception aux mesures prises après le 11 septembre 2001 pour concentrer toutes les forces disponibles à la lutte antiterroriste, et a créé une « taskforce » spécialement dédiée à la répression de l’activité criminelle des bandes. Un exemple à suivre en France ?

En se retirant de ces territoires sensibles, les services publics ont, en quelque sorte, abandonné la partie

Alors que certains quartiers évoluent à grands pas vers une situation dramatiquement semblable. Pour les habitants de ces quartiers, l’existence des bandes constitue la principale préoccupation, d’autant que celle-ci gagne en puissance plus librement, le « milieu » traditionnel cédant chaque jour un peu plus de terrain à cette jeune et tentaculaire concurrence issue des cités.

En se retirant de ces territoires sensibles, les services publics ont, en quelque sorte, abandonné la partie. Leur retrait est pour beaucoup dans le basculement de nombre de jeunes dans cette délinquance, et pour une poignée d’entre eux, dans la radicalité.

Depuis la suppression – sur injonction de Nicolas Sarkozy – de la police de proximité en 2003, la police n’est jamais vraiment revenue dans ces quartiers

Depuis la suppression – sur injonction de Nicolas Sarkozy – de la police de proximité en 2003, la police n’est en effet jamais vraiment revenue dans ces quartiers et n’y va plus aujourd’hui que pour des interventions d’urgence avec les attributs du maintien de l’ordre et de la répression judiciaire.

Comment dans ces conditions, rassurer la population et renforcer le lien de confiance avec la police ? Et dès lors, comment sortir de cette confrontation permanente ?

En imposant : des règles de vie commune plus stricte ; en organisant le retour des services publics ; en mettant tous les moyens nécessaires pour endiguer le trafic de stupéfiants avec une planification conjointe de l’action de la police et de la justice.

Plus précisément, le trafic de stupéfiants se caractérise par l’appropriation par les « dealers » de l’espace public ou de l’espace privé ouvert au public

En effet, le trafic de stupéfiants présent dans les quartiers constitue un vecteur de graves troubles à la tranquillité publique, particulièrement quand il est adossé à un hall d’immeuble ou de manière plus élargie quand il est bien implanté dans un « îlot résidentiel », il peut aussi agir comme catalyseur des activités délictuelles.

Plus précisément, le trafic de stupéfiants se caractérise par l’appropriation par les « dealers » de l’espace public ou de l’espace privé ouvert au public, dégradant les conditions de vie des habitants et se traduisant par des actes d’intimidation, des agressions contre les personnes et notamment contre les policiers et les gendarmes.

Le malaise observé depuis plusieurs années dans les rangs de la police et de la gendarmerie se trouve confirmé par une véritable hémorragie des effectifs

C’est à ce grave enjeu que doit répondre l’Etat. Le malaise observé depuis plusieurs années dans les rangs de la police et de la gendarmerie se trouve confirmé par une véritable hémorragie des effectifs jamais rencontrée dans ces deux institutions : 10000 départs annuels de policiers hors départs à la retraite et 15000 gendarmes en 2021-22.

Plus que jamais, l’heure est à la définition d’un cadre général pour répondre aux priorités opérationnelles des services de police et de gendarmerie, renforcer leurs moyens humains, enfin développer les investissements et acquérir les matériels nécessaires à l’accomplissement de leur mission.