Sénégal : changement de système ou nouvelle fracture?

par Jean-Paul de Gaudemar |  publié le 26/03/2024

Reconnu gagnant à la présidentielle, Bassirou Diomaye Faye prône un changement radical. Et la France dans tout cela ?

Les partisans de Bassirou Diomaye Faye, candidat de l'opposition à l'élection présidentielle, et d'Ousmane Sonko, chef de file de l'opposition, célèbrent le dépouillement des votes, lors de l'élection présidentielle sénégalaise- Photo MARCO LONGARI / AFP

Un constat amusant d’abord. Le combat électoral qui s’achève a opposé deux inspecteurs des impôts. C’est le cas du Premier ministre sortant Amadou Ba, mais aussi celui de Bassirou Diomaye Faye comme celui de son mentor Ousmane Sonko. Constat qui démontre à quel point l’usage des ressources publiques est devenu un enjeu majeur de la moralisation politique. Au moment où le Sénégal se projette comme futur producteur de gaz et de pétrole, à la suite de la découverte d’importants gisements au large de ses côtes, cette question prend encore plus d’importance.

Diomaye représente notamment l’ex-Pastef (« Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité »). S’il l’a emporté, c’est d’abord pour deux raisons principales. La première c’est l’échec du rassemblement de la famille libérale tenté par Macky Sall, notamment dans l’épisode rocambolesque du report de l’élection pour ramener à lui Karim Wade et son parti (PDS), éliminé de la course par le Conseil Constitutionnel. N’ayant pas obtenu gain de cause, ce dernier s’est inopinément retourné contre Amadou Ba en appelant à voter pour son opposant.

La deuxième est le constat d’une jeunesse sénégalaise, majoritaire dans la population, n’ayant jamais connu d’autre pouvoir que celui de cette famille libérale et qui, faute d’en voir les résultats tangibles, notamment en termes d’emplois, aspire à un changement profond, celui que semblent proposer Diomaye et Sonko. D’où leur popularité.

Mais cette volonté de rupture de Diomaye pour un « changement systémique » et un renouvellement de la gouvernance publique se présente sous des formes encore peu claires, notamment sur un réel changement de la nature présidentielle du régime ? Sur le plan économique, ses thèses paraissent plus radicales. Ainsi de l’instauration d’un Parquet National Financier dont la mission serait une lutte sans merci contre la corruption (mesure souvent proposée, rarement suivie d’effets). Ainsi également de la rupture avec le franc CFA, idée voire projet déjà retenu depuis longtemps en Afrique de l’Ouest, même par la France, mais au profit d’une monnaie souveraine et non commune.

Ce thème de la souveraineté que l’appellation de son parti (« Patriotes… ») peut laisser entendre vis-à-vis de la France, une rupture plus radicale. Il transparait également dans la volonté affirmée de renégocier les accords de défense du pays ou les contrats pour l’exploitation des nouveaux champs gaziers et pétroliers. Une souveraineté qui pourrait apparaitre comme contradictoire avec ce « panafricanisme de gauche » dont son parti est souvent qualifié. Mais qui pourrait attirer plus encore les grands prédateurs à l’affût de ce qui reste encore de l’influence française, la Chine et la Russie.

La Russie dont les accords de défense ne cessent de s’étendre en Afrique et dont l’influence au Sahel – après le Mali, le Burkina Faso et le Niger – pourrait encore gagner avec une percée nouvelle vers l’Ouest.

Jean-Paul de Gaudemar

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