Sénégal : crise au sommet

par Jean-Paul de Gaudemar |  publié le 16/02/2024

Macky Sall avait déjà face à lui l’opposition, une partie du peuple dans la rue… Voilà maintenant le Conseil Constitutionnel, qui annule le report de l’élection présidentielle. 

Le président sénégalais Macky Sall quitte le palais présidentiel de l'Élysée à Paris le 15 mai 2019- Photo Bertrand GUAY / AFP

Nouvel épisode dans la crise politique au Sénégal, la contre-offensive du Conseil Constitutionnel. Ce dernier, mis en cause par une commission parlementaire décidée par le président Macky Sall sur proposition du PDS de Karim Wade, a décidé de réagir aux deux décisions prises en abrogeant, d’une part le décret présidentiel reportant l’élection présidentielle et d’autre part la loi votée par l’Assemblée nationale confirmant ce report. Double cinglant désaveu donc pour le président sénégalais qui donne raison aux députés de l’opposition et aux autres candidats ayant fait appel, et qui de ce fait range le Conseil Constitutionnel dans le rang des opposants aux côtés de toux ceux mobilisés dans la rue ces dernières semaines.

Belle démonstration également de la réalité de ce qu’un grand nombre d’observateurs considéraient déjà comme un coup de force constitutionnel, voire un coup d’État sans armes ni appel à une junte militaire, contre lequel la réaction du Conseil Constitutionnel peut apparaitre comme l’indice que la démocratie n’est pas encore morte au Sénégal. Au passage, ce même Conseil inaugure un nouvel élément de sa jurisprudence en censurant pour la première fois une loi votée par l’Assemblée nationale aux trois cinquièmes et qui aurait pu ainsi être interprétée comme un ajout à la Constitution.

Tout reste à faire

Si l’on peut se réjouir de ce sursaut démocratique, on doit aussi, de manière plus réaliste, prendre en compte le fait que le Conseil reconnait lui-même qu’à dix jours de l’élection initialement prévue, il est impossible d’organiser cette élection, et que par ailleurs, il reste soumis aux investigations de la commission parlementaire. Tout donc reste à faire et tout reste possible.

Macky Sall va-t-il prendre simplement en compte ce double désaveu et se ranger aux instructions du Conseil Constitutionnel ? Une nouvelle date de l’élection doit certes être fixée. Avant ou après le 2 avril, date officielle de fin du mandat du président ? Le symbole peut être fort pour les deux camps. Avec quels candidats ? Ceux déjà validés ou d’autres ? Amadou Ba restera-t-il le candidat officiel du parti présidentiel l’APR, alors même qu’il est souvent considéré comme « le candidat de la France », ce qui, dans le climat actuel de l’Afrique de l’Ouest constitue un handicap ? Et rien n’exclut non plus la décision du président d’appliquer l’article 52 de la Constitution en s’arrogeant les pleins pouvoirs au nom du chaos régnant dans le pays.

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En ce sens, la double décision du Conseil Constitutionnel ne signe pas la fin de la crise politique au Sénégal. Elle n’apparait que comme un nouvel épisode qui pourrait autant déboucher sur un retour au calme que sur son amplification.

Jean-Paul de Gaudemar

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