Sénégal : un président, deux épouses

par Jean-Paul de Gaudemar |  publié le 03/05/2024

Le nouveau président sénégalais affiche publiquement sa polygamie, comme un nouveau signe de rupture avec l’Occident et la France

Bassirou Diomaye Faye (C) et ses épouses Marie Khone Faye (G) et Absa Faye (D) après sa prestation de serment en tant que président du Sénégal -Photo JOHN WESSELS / AFP

Il y a de quoi méditer en voyant apparaître à la tribune le nouveau président du Sénégal, accompagné de ses deux femmes. Très clair pendant la campagne, il avait affirmé haut et fort sa polygamie, d’une façon encore inédite pour un candidat aux plus hautes fonctions, même parmi les régimes les plus rétrogrades. Ni chez les talibans, ni en Iran, ni en Arabie Saoudite, on n’aurait imaginé pareille exposition d’épouses. Certes, la polygamie est légale dans le pays. Mais de quel message est ainsi porteur ce jeune président ?

Un tiers seulement des Sénégalais mariés vivent en union polygame. Soit une monogamie largement majoritaire dans le pays. Mais le calcul de Bassirou Diomaye Faye n’est pas seulement de « recoller à la réalité sénégalaise ». En voulant inciter tous les autres hommes concernés à affirmer clairement leur polygamie, il prône une forme de retour à un Islam assumé, refusant toute hypocrisie d’apparence.

Mais derrière cette exposition volontaire de ses deux épouses, il est difficile de ne pas voir, aussi, un pied de nez, voire un bras d’honneur à l’Occident. Car la lutte contre « l’hypocrisie » semble bien être désormais un leitmotiv du combat de ce jeune président. Ainsi de sa volonté de rompre avec « l’hypocrisie de la France » dans sa politique internationale et sa façon de procéder sans cesse selon « deux poids, deux mesures ». Et d’en finir avec un héritage colonialiste dont ses prédécesseurs n’avaient pas su ou pas voulu se défaire.

Manière peut-être de dire : cessons d’apparaître sous les traits de la normalité occidentale, assumons nos coutumes et nos mœurs en toute transparence. Ceux qui pourraient nous le reprocher sont ceux-là mêmes qui ne nous respectent pas et érigent en normes universelles leurs propres normes. Comme si ce retour au premier plan de la polygamie, déjà observé ces dernières années dans plusieurs pays du continent, devenait, au-delà de la religion, une arme idéologique, quasi anthropologique, face à l’Occident.

Avec tout le respect que l’on doit à toutes les religions, il vient pourtant un moment où s’impose la question de l’égalité entre les hommes et les femmes. Tant mieux si l’Occident, entre autres parties du monde, en est aujourd’hui porteur, malgré ses inégalités qui demeurent. Mais prendre la polygamie comme une revanche sur le colonialisme n’est pas seulement absurde. C’est une autre forme de plaidoyer pour l’inégalité.

Le plus curieux dans cette affaire, c’est qu’elle semble n’avoir eu jusqu’ici guère d’impact politique ni avoir suscité de réactions particulièrement fortes. Comme si ce renversement inattendu du climat politique au Sénégal avait anesthésié toute tentative d’opposition. Pourtant les associations féministes ou plus simplement de femmes sénégalaises savent d’ordinaire se faire entendre.

Mais, question subsidiaire, dans la presse occidentale, s’est-on vraiment interrogé à ce propos ?

Jean-Paul de Gaudemar

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