Seniors : travailler plus pour chômer moins
Gabriel Attal s’obstine à vouloir réduire la durée des indemnités des chômeurs en général et des seniors en particulier. Il ferait mieux d’inciter les entreprises à les garder
Dans les Everglades, la zone marécageuse près de Miami, un train serpente sur la route parmi les crocodiles devant les yeux écarquillés des enfants. L’homme qui fait sonner la cloche pour annoncer que le convoi approche du terminus a des rides prononcées sur le front et des pattes-d’oie au coin de ses yeux rieurs, il a 72 ans. À cet âge, aux États-Unis, il est fréquent de continuer à travailler parfois parce qu’on en a envie, le plus souvent parce qu’on ne parvient pas à boucler ses fins de mois. Rien de cela en France.
Certes, on trouve dans notre pays quelques récalcitrants qui refusent de raccrocher, mais ils sont indépendants. Rares sont les salariés ayant encore un emploi à un âge aussi avancé. Le taux d’emploi des 60-64 ans est seulement de 33 % dans l’hexagone, soit 12,4 points de moins que la moyenne européenne et 20 de moins que l’Allemagne. Commentant ces chiffres, la ministre du Travail Catherine Vautrin, a décidé de se fixer l’objectif de doubler en France ce taux d’emploi des seniors d’ici à 2027.
D’ailleurs, les seniors seraient eux-mêmes responsables de cette situation. Ils seraient trop heureux de pantoufler plutôt que de se mettre en quête d’un nouvel emploi. Voulant combattre cette insupportable paresse, le gouvernement d’Emmanuel Macron a réduit en 2022 la durée de leur indemnisation au chômage, de 36 à 27 mois pour les plus de 55 ans – contre 18 mois pour le reste de la population française.
Au 20 h de TF1, Gabriel Attal a annoncé un nouveau tour de vis, la panacée selon lui pour atteindre le plein emploi et réduire les déficits.
Sa piste est qu’ « on pourrait relever de deux ans la borne pour devenir senior ». En clair, ce ne serait plus à 55 ans, mais à 57 ans que les chômeurs âgés bénéficieraient de leurs 27 mois d’indemnisation. Une façon de se rapprocher du modèle allemand où les plus de 58 ans touchent une indemnité chômage de 24 mois.
Sauf que la France n’est pas l’Allemagne. Même jeunes, mêmes diplômés, les Français galèrent davantage pour trouver un travail que dans d’autres pays. Il leur faut 8,6 mois à la sortie de l’école, 12 mois s’ils sont en perte d’emploi, 24 mois s’ils ont plus de 55 ans.
Certainement pas parce qu’ils seraient paresseux et peu motivés, mais bien parce que le marché du travail est en France plus rigide qu’ailleurs. Avec les cotisations sociales, une embauche coûte à l’employeur deux fois le salaire qu’il verse au salarié dont il aura du mal à se séparer s’il devait le décider. De quoi prendre le temps d’y réfléchir… La vérité, comme le reconnaît Catherine Vautrin, est qu’il faut inciter les entreprises à garder les plus de 55 ans.
Trop chers, pas assez flexibles, moins endurants, les préjugés à leur encontre sont multiples. La ministre du Travail évoque pour eux « compagnonnage », « transmission » et « mentorat », comme s’ils n’étaient plus bons qu’à transmettre. Comme si après 55 ans, on ne pouvait plus être aussi performant que ses cadets. Les entreprises sont au pied du mur. En 2030, il y aura davantage de Français âgés de plus de 65 ans que de moins de 15 ans. Les entreprises doivent donc impérativement garder les seniors en activité, sinon demain, une poignée de jeunes actifs sera contrainte de faire vivre une armée de vieux inactifs.