Série « Les bâtisseurs de l’après-guerre » (1)

par Bernard Attali |  publié le 07/10/2023

Souvent issue de la Résistance, marquée par la défaite et l’occupation, une nouvelle génération de jeunes dirigeants, hommes et femmes, a pris le relais des élites  pour remettre la France en marche. Aujourd’hui : « Georges Boris, l’homme qui avait l’oreille des puissants ». Par Bernard Attali

journaliste et résistant, Georges Boris était un proche de Léon Blum, de Pierre Mendès France et de De Gaulle.

Il a servi Blum, De Gaulle, Mendès France. Sans jamais se soucier de sa propre gloire. Son influence, immense, fut servie par son charme certain. Grand, svelte, élégant, ses yeux bleus, il plait aux femmes. Une vaste culture, une grande capacité d’écoute, il séduit les hommes. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale , il a déjà vécu plusieurs vies ; à la tête d’un journal qui compte, au plus près de ceux qui gouvernent, au cœur de la France libre, à Londres. Qui est Georges Boris ?

Né en 1888, l’homme a une enfance bercée par le tumulte de l’affaire Dreyfus. Est-ce pour cela que, très jeune, issu d’une famille lorraine de négociants juifs aisés, il se déclare déjà de gauche ?

Le commerce ne le passionne pas. Il collabore au « Quotidien » , rare journal de qualité des années 30. Mais dès qu’il doute de l’indépendance de la publication, il la quitte, crée  « La Lumière » et collabore avec Léon Blum, Jules Moch, Alfred Sauvy et… Pierre Mendès-France, dont il deviendra pour toujours un ami proche.

Contre lui, la vindicte d’une bourgeoisie conservatrice et antisémite va s’accroitre encore lorsque Léon Blum, chef du gouvernement de Front populaire, en fait son directeur de cabinet et le charge de bâtir un programme. L’expérience tourne court. La guerre que cet anti-munichois pressentait est là.

À plus de 50 ans, il s’engage comme sous-officier et rejoint l’Angleterre…

À plus de 50 ans, il s’engage comme sous-officier. Le désastre accompli, il fuit les plages de Dunkerque, réussit à gagner l’Angleterre et force la porte du général De Gaulle. Quelques bonnes âmes s’empressent de mettre en garde le chef de la France libre contre ce juif qui a servi Blum. « Je ne connais que deux sortes de Français, rétorque le général, ceux qui ont fait leur devoir et les autres. »

Il est l’homme de De Gaulle à Fleet Street, cœur de la presse écrite britannique, ou à la BBC aux côtés de Maurice Schumann. Georges Boris contribue au lancement du journal de la Résistance à Londres : « La France ». L’homme d’influence presse de Gaulle de se déclarer démocrate et républicain et contribue à convaincre Churchill d’aider les maquis.

Il établit des liens avec Blum en captivité, côtoie René Casssin, Joseph Kessel, René Meyer, Jacques Soustelle, le colonel Passy, Emmanuel d’Astier de la Vigerie, Jacques Chaban-Delmas, Pierre Brossolette, Maurice Druon, Raymond Aron. Bras droit d’André Philip, commissaire à l’Intérieur, il participera à l’unification de la résistance intérieure.

La libération acquise, la reconstruction d’une France meurtrie l’occupe pleinement, toujours discret. Tout naturellement, il rejoint Mendès, qui a hérité du portefeuille des Finances. Il se bat pour un programme social conséquent et propose la création du commissariat au Plan. Boris intègre le Conseil d’État et lorsque le Général s’en va en 1946, il se console au Conseil économique et social de l’ONU.

« Alors, on rouspète Boris ? »

Le Général de Gaulle

Quand Mendès devient chef du gouvernement, le 18 juin 1954, il le retrouve encore. Le voilà sur tous les fronts, l’économie, la décolonisation. Sept mois et dix-sept jours plus tard, son ami est renversé. En mai 1958, les deux hommes sont déchirés. Résistants, fidèles du général, mais intransigeants sur les valeurs démocratiques, ils ne peuvent accepter le putsch.

Le général tient à le voir à Colombey et lui lance : « Alors, on rouspète Boris ? » Boris s’explique : revenir au pouvoir dans les fourgons de l’armée lui paraît indigne de De Gaulle. Mendès adoptera la même attitude. Le général accuse le coup. Mais le respect entre les trois hommes restera total.

«  Il nous a montré ce qu’un homme peut faire de mieux avec sa vie. »

Pierre Mendès France

Georges Boris meurt en 1960. Peu de temps avant, il a reçu une lettre amicale du Général. Ils avaient le même âge. Pierre Mendès France rendra un hommage posthume éclatant à son ami : « Il nous a montré ce qu’un homme peut faire de mieux avec sa vie. »

Bernard Attali

Editorialiste