Service militaire : l’enfant de la Révolution

par Pierre Feydel |  publié le 12/04/2024

 

Les menaces russes alarment les Européens. Les Suédois ont instauré le service militaire obligatoire. Et en France, le débat réapparait. Il ne date pas d’hier…

D.R

Le 19 fructidor An VI de la République, autrement dit le 5 septembre 1798,  la loi Jourdan-Delbrel qui instaure le service militaire en France est adopté par le Conseil des Cinq-Cents. Jean-Baptiste Jourdan, général, le vainqueur de Fleurus, sait qu’il faut organiser une fois pour toutes la conscription dans le pays et lui garantir « en tout temps une barrière impénétrable d’un million d’hommes à opposer aux puissances qui auraient la folle prétention d’attaquer le peuple français ou ses alliés ».

Cette masse s’ajoutera en cas de mobilisation aux troupes permanentes constituées des soldats de métier et des engagés. Pierre Delbrel, lui, lors des discussions en commission du projet s’est surtout attaché à combattre le tirage au sort des conscrits défendu un temps par Jourdan. « La voie du sort » paraît un juste à cet égalitaire. Cette pratique, en place sous l’ancien régime, permettait aux plus riches s’ils étaient choisis de se faire remplacer moyennant finances par un autre. La Convention avait même institutionnalisé le « remplacement » en 1793 lors de la levée en masse qui avait provoqué des troubles dans le pays, particulièrement dans les provinces de l’Ouest.

Désormais, la conscription n’est pas que le recensement d’une classe d’âge, ni même un mode de recrutement. Elle est une obligation militaire partie intégrante de la citoyenneté. Pour Jourdan, « les défenseurs de la patrie seront citoyens », en symbiose avec la Nation, ils combattront d’autant mieux pour elle. Plus tard, Clausewitz, lui-même reconnaitra que l’armée de peuple français, sous la révolution et l’Empire, bénéficiera d’un allant incomparable face aux armées de mercenaires ou d’enrôlés de force de ses ennemis. Ce sera, selon ce penseur de la guerre, une des clés essentielles de ses succès.

Le premier article de la loi de 1798 stipule : « Tout Français est soldat et se doit à la défense de la patrie. » Tous les hommes entre 20 et 25 ans sont concernés. En 1804, Napoléon rétablit le tirage au sort parmi les célibataires ou les veufs sans enfants de 20 à 25 ans,  mesurant au moins…1, 54 m. Dans chaque canton, 30 à 35 % des hommes éligibles peuvent être appelé sous les drapeaux. Le service dure 6 ans. Le remplacement, payé, marche. Il est vrai que les guerres napoléoniennes épuisent le patriotisme.  De 1800 à 1815,  la France perd un million d’hommes, pour une population de… 32 millions d’habitants.

En 1818, Louis XVIII établit le recrutement par engagement et tirage au sort. Le Second Empire suit. Jusqu’en 1868, où il rétablit le service dans la réserve pour tous. Mais l’inégalité demeure. Il faut attendre la terrible défaite de 1871 pour que Léon Gambetta affirme : « quand en France un citoyen est né, il est né soldat. » On avance. Le service militaire obligatoire, un an après, sous la présidence d’Adolphe Thiers s’impose, sans dispense. Mais il faudra attendre 1905 pour que le tirage au sort soit aboli. Tous les hommes sont appelés pour deux ans. Le service militaire moderne est enfin né. Jusqu’à 1997, où Jacques Chirac fait en sorte que l’ appel sous les drapeaux soit suspendu. En réalité, le service national a été mis en réserve de la République, jamais aboli.

Pierre Feydel

Journaliste et chronique Histoire