Seule la gauche réformiste gagne

par LeJournal |  publié le 12/06/2024

Front populaire ? La référence est bonne, à condition de rappeler ce qu’a été la victoire électorale de 1936 : l’œuvre d’une coalition jusqu’aux centristes, sur la base d’un programme prudent et rassembleur.

France, Paris, 2024-06-11. Rassemblement contre l'extreme droite, apres que le Rassemblement National et Jordan Bardella aient obtenu un score record de 31,5 pourcents aux elections europeennes 2024, a Paris -Photo Fiora Garenzi / Hans Lucas

Les partis de gauche en quête d’unité pour ces législatives ont trouvé une formule qui sonne héroïquement à leurs oreilles : « Front populaire », en référence à la victoire des socialistes, des communistes et des radicaux en 1936, réunis en coalition pour faire barrage aux entreprises factieuses de lignes fascistes et qui allaient décider de réformes sociales décisives pour le bien-être et la dignité des travailleurs.

Encore faut-il en avoir un souvenir véridique. Imposée par la base, mais aussi autorisée par le revirement de Staline, qui donna l’ordre aux partis communistes de conclure des alliances avec toute la gauche – et même le centre – pour prévenir l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite, après les défaites cuisantes essuyées par les partis ouvriers en Italie et en Allemagne, elle se situa sur une ligne clairement réformiste. Léon Blum en fit même la théorie : il n’était pas là pour la « conquête du pouvoir » par le socialisme, mais pour son simple « exercice », dans le cadre imparti par les institutions et commandé par la situation nationale et internationale.

Alliance défensive, donc, conclue sur un programme minimal, social et démocratique. Ardents à défendre la nouvelle ligne, comme ils l’avaient été à mettre en œuvre la ligne inverse, les communistes tenaient à ramener à la gauche les classes moyennes, et même une partie de l’électorat catholique. Ils insistèrent donc, parfois contre l’avis des socialistes, pour édulcorer autant que possible la plate-forme commune. Et surtout, ils souhaitèrent, comme Léon Blum, inclure dans ce cartel de défense républicaine les Radicaux, parti charnière, placé au centre de l’échiquier, et qui s’alliaient alternativement avec la droite et la gauche.

Autrement dit, si l’on transposait aujourd’hui la même tactique, la gauche devrait s’arrêter sur un programme prudent, rassembleur, tendre la main aux centristes et se concentrer sur les réformes sociales faisables et les avancées démocratiques liées à la défense de la République. Nulle radicalité dans cette entreprise, nulle outrance, nulle pomme de discorde. En 1936, c’est seulement après la victoire et le déclenchement d’une grande grève ouvrière que l’action du Front populaire a pris une extension plus large. Autrement dit, si la France insoumise voulait vraiment se référer au Front populaire, elle s’abstiendrait de toute outrance, de tout dérapage, de toute provocation. On peut toujours rêver…

C’est d’ailleurs une règle générale dans l’histoire de la gauche française. Seules ont été gagnantes les coalitions dominées clairement par l’aile réformiste de la gauche. Blum en 1936 en offre le premier exemple. Mais c’est aussi grâce à l’affaiblissement du PCF et à son attitude loyale que François Mitterrand a pu l’emporter en 1981. Même remarque en 1988 : le même Mitterrand a été réélu sur un slogan large et rassembleur : « la France Unie ». Idem pour Lionel Jospin en 1997 : la « gauche plurielle », coalition préparée de longue main, l’a été sous la houlette du Parti socialiste, sur une ligne clairement réformiste. Même chose, enfin, pour la victoire de François Hollande en 2012, obtenue grâce à la domination du PS sur la gauche.

Et la gauche radicale ? On a le regret de le dire : elle n’a jamais gagné une seule élection et, par conséquent, jamais mis en œuvre une seule réforme sociale. Dans l’alliance, tout aussi défensive, qui se concocte dans les salles de réunion de la gauche d’aujourd’hui, cette leçon devrait être systématiquement rappelée.

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