« Shttl » : au premier jour du dernier été 41
Alors que les communistes russes occupent leur village et que l’armée allemand approche, deux juifs s’affrontent, l’un religieux orthodoxe, l’autre, amoureux de liberté, sur le sens de leur religion dans la cité
Sur une image en noir et blanc, un jeune homme revenant après deux ans d’absence de la grande ville affronte le ressentiment d’un ancien camarade d’école, hassidique observant qui aspire à devenir le rabbin du village. Et comme nous sommes en Ukraine en 1941 dans le monde juif d’avant la catastrophe, précisément la veille du déclenchement de l’opération allemande Barbarossa, ce village s’appelle un Shtetl. Le film, lui, s’orthographie Shttl, il a été tourné là-bas avant le début de la guerre déclenchée par Poutine. Intégralement interprété en yiddish, il raconte un monde disparu, avec tendresse, mais sans complaisance, dans le même temps qu’il met en scène des tensions culturelles et politiques qui n’ont pas pris une ride.
C’est évidemment le hasard qui produit le sentiment d’une concordance de temps entre la sortie en salles de Shttl et l’actualité. Ady Walter, le réalisateur, filme un conflit politique apparu dans le monde juif au début du XXe siècle, et qui en Israël, comme dans bien des pays musulmans, continue d’opposer l’orthodoxie religieuse et l’aspiration de sortie de la religion comme organisation de la société. La fiction exprime cette opposition avec une grande force à travers une histoire d’amour et deux personnages, Mendele et Folie. Derrière eux, le mouvement de l’Histoire : deux groupes qui se déchirent pour leurs convictions alors même que les communistes soviétiques occupent le village et que les Allemands approchent.
Le film, qui n’a jamais rien de démonstratif, rappelle néanmoins la violence qui traverse ces conflits pour l’émancipation. Pour Mendele, quitter le village, sa communauté, gagner la ville, faire du cinéma, c’est découvrir le monde, revendiquer la liberté, s’opposer aux forces de la réaction et à l’enfermement. Le prix est élevé : il lui impose de quitter les siens, et d’abandonner son père. Ady Walter observe la manière dont son personnage fait ses choix, avec résolution, mais sans trahison.
« Shttl se déroule sur une journée. Le 21 juin, c’est le jour de l’été ; il fut, en 1941, pour les juifs ukrainiens, le premier jour du dernier été. »