Si je t’oublie, banlieue…

par Malik Henni |  publié le 24/02/2024

Alors que les émeutes de juin 2023 semblaient avoir réveillé le problème de la politique de la ville, le sujet a disparu des radars médiatiques et politiques.

Un manifestant fuit les gaz lacrymogènes lors des affrontements qui ont éclaté après une marche de commémoration d'un adolescent abattu par un policier, dans la banlieue parisienne de Nanterre, le 29 juin 2023 - Photo Zakaria ABDELKAFI / AFP

Où en sont les banlieues six mois après les émeutes qui ont secoué la France? En 2017, le candidat Emmanuel Macron a tenu l’un des discours les plus libéraux sur la question des banlieues, parlé des violences policières, estimé qu’il fallait améliorer l’état de l’Éducation nationale dans les quartiers et soutenu l’entrepreneuriat des jeunes. Bravo…

Six ans plus tard, les émeutes nous ont montré ce qu’étaient devenues ces belles promesses. Les violences policières sont couvertes par le ministre de l’Intérieur et le Directeur Générale de la Police Nationale et l’esprit d’entreprise se limite à devenir chauffeur de VTC. Quant à l’école, non seulement les dispositifs exceptionnels (par exemple les REP +) ont des « résultats limités », mais, qui plus est, ils produisent des « effets de stigmatisation » (Rapport des députés Cornut-Gentille et Kokuendo, 2018).

Rien en change ou si peu pour les 1514 « quartiers de la politique de la ville », qui ne sont pas qu’en banlieue parisienne, mais dans une majorité de départements.  Huit millions de Français y vivent, avec un taux de pauvreté plus de trois fois supérieur à celui du reste du pays. Et cette pauvreté se perpétue : comment un élève de Seine-Saint-Denis pourrait-il faire de bonnes études alors qu’il perd en moyenne un an de scolarité à cause des enseignants non remplacés ? S’il réussit à en faire, il devra subir les discriminations raciales, mais aussi géographiques : envoyer un CV à Paris quand on vient de Fresnes ou de Pontault-Combault provoque au mieux un éclat de rire, au pire une large indifférence.

Même la sécurité, qui semble être la seule priorité de ce gouvernement, est largement défaillante. Un habitant des QPV ( Quartier Prioritaire de la Ville) a deux fois plus de chances de se faire agresser qu’un autre Français et les vols avec armes sont trois fois plus nombreux. Grandir dans ces quartiers sans traumas, sans l’évasion permise par des vacances, avec des services publics de santé défaillants, relève du miracle.

Mais pourquoi le Gouvernement n’agit-il pas en faveur d’une réduction de ces criantes inégalités ? Depuis 2018, les illustres inconnus se succèdent à la tête d’un ministère de la Ville sans moyens ni visibilité. Personne ne sait comment prononcer le nom de la ministre Nadia Hai car personne ne l’a jamais entendu prononcer. Quant à la Secrétaire d’Etat Sabrina Agresti-Roubache, elle est au 32e rang protocolaire d’un Gouvernement de… 35 membres. À comparer avec feu Michel Delebarre, maire de Dunkerque, Premier ministre de la Ville sous Mitterrand, ministre d’État et numéro deux du Gouvernement.

La droite et le RN n’ont que les mots « milliards pour les banlieues » à la bouche quand ce sujet réémerge à la faveur des feux de poubelles. Or, l’État ne dépense que 640 millions d’euros (budget 2024) dans la politique de la ville. Certes, d’autres ministères ont des crédits spécifiques pour ces territoires, mais la Cour des Comptes elle-même dénonce leur illisibilité.

Une recommandation simple pour faire taire le discours mensonger des « milliards sur les banlieues » serait de géolocaliser les dépenses de l’État. C’est techniquement possible, mais politiquement inflammable. On risquerait de voir le grand public réaliser que ce sont les quartiers les plus riches du pays qui… bénéficient le plus de la solidarité nationale !

Par Malik Henni

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